jeudi, mars 09, 2006

Le Canada en Haïti - une aventure coloniale

« Pour le Pays, pour les Ancêtres
Marchons unis, marchons unis
Dans nos rangs point de traîtres
Du sol soyons seuls maîtres »
-La Dessalinienne[1]-

Le premier ministre Stephen Harper déclarait le 16 février dernier que « ces élections sont une étape importante à franchir pour atteindre ces objectifs, mais un engagement renouvelé envers la réconciliation nationale, le dialogue politique et la réforme fondamentale seront des éléments clés au succès de ces efforts.» Il a, par la suite, exhorté « toutes les parties à respecter l’issu du vote. »

Le Canada a joué un rôle de premier plan dans l’organisation d’élections frauduleuses et dans la déstabilisation du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide par le biais de prétendues aides au développement et par la voie militaire. Pourtant, le gouvernement canadien se réjouit de collaborer à « restaurer la démocratie » en Haïti. Fidèle à l’histoire, ces conflits font du peuple les victimes de la démocratie des escadrons de la mort.

L’intervention des puissances étrangères

Quel genre de démocratie le Canada veut imposer en Haïti ? Le déroulement et les résultats des élections haïtiennes démontrent que la « démocratie » organisée par les puissances étrangères s’est révélée frauduleuse. Les délais interminables dans l’annonce des résultats, les urnes retrouvées dans un dépotoir, la fuite du directeur général du Conseil électoral provisoire (CPE), Jacques Bernard, ont nourrit le feu des citoyens assoiffés de vérité et de justice.

Sans compter que la redistribution des 85 000 bulletins de votes blancs est apparue comme solution, au peuple mécontent, témoin de la fraude électorale. Cet arrangement effectué dans les coulisses par le gouvernement provisoire, les représentants de l’ONU, l’Organisation des états américains (OEA) et les ambassadeurs des États-Unis, de la France, du Canada, du Chili et du Brésil a été mis en place pour empêcher un trop grand discrédit des forces d’occupation. La vigilance et l’expérience du peuple haïtien a cependant contraint les puissances étrangères à cet arrangement.

Soi-disant défenseurs des droits et libertés en leur patrie, ces puissances prétendent instaurer un système politique et économique pour « assurer la prospérité». En réalité, ils imposent un système, déjà en crise ici, aux Haïtiens. Ce même système ne prend aucunement en considération la culture, l’histoire et les besoins de ce peuple. Les impérialistes soumettent et pillent Haïti depuis des centaines d’années. Aujourd’hui, sous le couvert de la démocratie, ils menacent et s’ingèrent encore une fois dans ce pays pour maintenir leur domination coloniale. Cet assaut s’attaque directement à la souveraineté et l’autodétermination d’Haïti ainsi qu’à la conscience de son peuple dans ses droits démocratiques. Elle ignore le droit à ce peuple de choisir ses propres dirigeants par l’affirmation de leurs choix électoraux.

Le coup d’État de 2004 contre la démocratie haïtienne était intimement lié aux plans américains pour protéger leurs intérêts en République dominicaine, dans les Caraïbes et à l’objectif de « changement de régime » à Cuba et au Venezuela. L’implantation des programmes de restructurations néolibéraux conformément à la ZLÉA nécessite des institutions favorables à ces visées. L’Organisation des États Américains (OÉA), par le biais de la Charte démocratique interaméricaine, joue le rôle de gardien de ce genre d’institutions politiques. Les impérialistes tentent de les imposer par le chantage et la force. Le gouvernement américain du président Clinton et le Fond monétaire international qui ont décrété un embargo sur l’aide à Haïti en 2001 et les 800 marines américains débarqués en République dominicaine quelques jours avant la tenue des élections en sont deux exemples parmi tant d’autres.

L’ingérence du Canada en Haïti

L’ingérence du Canada dans les affaires haïtiennes s’est manifesté dans le coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide en février 2004. Pour le remplacer, le Parti libéral du Canada, à l’époque au pouvoir, et de concert avec les gouvernements français et américain, a joué un rôle actif dans le financement et l’organisation de
«l’opposition».

En 2003, le député Denis Paradis, alors secrétaire d’État du Canada pour l’Amérique latine, l’Afrique et la Francophonie, avait réuni des représentants de différents pays comme la France et les États-Unis et de l’OÉA pour organiser un changement de régime avant les élections présidentielles prévues pour 2005. Le principe de «responsabilité de protéger » élaboré à l’échelle internationale par Paul Martin, était invoqué pour justifier une future intervention militaire en Haïti.

En février 2004, des militaires américains intervenaient à Port-au-Prince pour kidnapper Jean-Bertrand Aristide. Cette machination a obligé le président à se réfugier en Afrique du Sud et ce, depuis bientôt trois ans.

Malgré tout, le gouvernement du Canada a toujours refusé de reconnaître quelconque ingérence en Haïti. Il prétend que tout cela est de l’histoire ancienne ou des allégations de « groupes extrémistes ». Pourtant, la réalité est que le président Aristide a quitté sa terre d’origine contre son gré et sous intervention militaire.

Le Canada a lui-même joué un rôle clé dans l’occupation militaire d’Haïti. De nombreux rapports font état que des officiers de la GRC et des policiers entraînés par la GRC sont impliqués dans des attaques violentes contre le peuple haïtien.

Dans les dernières semaines, Élections Canada a été impliquée de près dans les élections présidentielles frauduleuses. Son président Jean-Pierre Kingsley déclarait au Ottawa Citizen à propos de la fraude que « les observateurs ont cru que l'élection était juste le jour du vote à partir de ce qu'ils ont vu ». Il a également affirmé « que le Canada ne fait pas partie des pays qui travaillent à un arrangement selon lequel les autres candidats reconnaîtraient la victoire de Préval pour empêcher un soulèvement populaire. »

Depuis que cette entente a été conclue, Kingsley et Élections Canada ont refusé de commenter la situation et la fraude reconnue de facto, tout comme la Mission internationale d’évaluation des élections en Haïti (MIEEH). Pourtant, le Canada a impliqué Élections Canada, 30 millions de dollars et refuse de rendre des comptes à quiconque. Cette situation est absolument inacceptable à la fois aux yeux du peuple haïtien et du peuple canadien!

«Le Canada veut s'assurer que les prochaines élections en Haïti seront libres, justes et transparentes, afin qu'elles reflètent la volonté démocratique des Haïtiens», avait déclaré, en décembre dernier, l’ancienne ministre libérale de la Coopération internationale Aileen Carroll. « En raison de la relation particulière qui existe entre le Canada et Haïti, nous avons encore augmenté notre contribution pour raffermir le processus démocratique dans ce pays, avait elle ajouté. »

Pour le gouvernement canadien, la référence au processus politique est la même que sous l'occupation de l'Irak, c'est-à-dire des supposées élections libres et démocratiques sous la botte de l'occupant avec des centaines de prisonniers politiques. Quelle contribution ! L'imposition du système de démocratie représentative sert, en fait, à marginaliser les peuples, au Canada comme en Haïti. Il les prive non seulement du pouvoir souverain véritable, mais de tout accès à un processus politique qui leur permet d'avoir enfin leur mot à dire sur les décisions prises en leur nom dans leur pays.

En fait, l’ingérence du Canada bafoue la liberté politique des Haïtiens. Elle est la négation du droit à l’autodétermination du peuple d’Haïti, la négation du droit à décider de son avenir, la négation d’être citoyen à part entière et la négation des droits humains.

Des siècles de colonialisme

La lutte anticoloniale et antiesclavagiste du peuple haïtien est une glorieuse épopée. Elle constitue un exemple de détermination pour tous les peuples des Amériques et du monde en quête de souveraineté et d’indépendance.

Arrivée sur l’île de Saint-Domingue, l’Espagne pratique une politique d’extermination des autochtones Arawak pour ensuite les remplacer par des esclaves africains dans les plantations de cannes à sucre. En 1697, la France et l’Espagne signent le traité de Ryswick qui partage l’île en deux colonies distinctes. Au XVIIIe siècle, l’industrie sucrière fait de l’île de Saint-Domingue la plus riche colonie de toutes les Amériques et des centaines de milliers d’esclaves y sont amenés. En 1795, l’île devient possession française.

Sous le joug colonial de la France, les esclaves dirigés par Toussaint Louverture, se soulèvent et combattent pendant plus de douze ans pour obtenir l’indépendance. Le 1er janvier 1804, au terme d’une longue lutte, les esclaves obtiennent l’objet de leur quête. Résistant au débarquement de généraux et à l’enlèvement de Louverture, les esclaves noirs triomphèrent de la puissante armée française. Louverture mourut l’année suivante en France des mains des militaires.

En 1825, Charles X, pour le compte des esclavagistes dépossédés, menace Haïti d’invasion à la suite de la réunification du pays. Une flotte de 14 vaisseaux contraint Haïti à signer un traité qui reconnaît son indépendance en échange d’une « indemnité» à la France. En 2003, le président Aristide avait demandé à la France de rembourser ce vol qui équivaudrait aujourd’hui à 21,7 milliards $.

Soutenues par les principes de la Doctrine Monroe, des troupes américaines envahirent le pays en 1915. Haïti fut ainsi maintenu sous occupation pendant 19 ans. La théorie « de la mission civilisatrice » en Haïti était invoquée à l’instar d’aujourd’hui, c’est-à-dire que les Haïtiens sont incapables de s’organiser puisque Haïti est, après tout, un « état échoué». Le soutien américain à la dictature des Duvalier s’appuyait sur la logique de l’endiguement de la « menace communiste » et la « théorie des dominos ». L’ingérence étrangère et le désir des puissances d’en faire un protectorat nuisent grandement à Haïti. Contrairement aux dires des puissances, le problème d’Haïti n’est pas les Haïtiens eux-mêmes, mais bien la réalité de l’occupation étrangère, les manigances contre le peuple haïtien et la négation de leur souveraineté.

La date du 1er janvier 1804, date de l’indépendance d’Haïti, n’est pas réellement reconnue par les grandes puissances puisqu’elles persistent à occuper ce territoire. Après une lutte acharnée pour la reconnaissance de leurs droits contre l’ingérence étrangère, le peuple se croyait libéré du joug oppressant et absolutiste des anciennes monarchies. Aujourd’hui, les Haïtiens demeurent prisonniers de la domination impérialiste. L’intervention, dans le cadre des dernières élections, se révèle une copie conforme des précédentes. Elle nourrit le mépris et la condescendance des États responsables de la situation chaotique dans laquelle Haïti est submergée.

L’OÉA a d’ailleurs joué un rôle important dans l’orchestration du coup d’État. Elle a statué en premier lieu que l’élection présidentielle de 2000, portant Aristide au pouvoir, s’était déroulée normalement. Puis, elle a changé subitement son fusil d’épaule en déclarant l’élection illégitime pour accorder plus tard son appui au Groupe 184[2], une organisation soutenue et financée par les États-Unis par le biais de l’International Republican Institute (IRI). Deux officiels ont tiré les ficelles du Groupe 184: Roger Noriega, néoconservateur lié aux groupes anticubains et ambassadeur américain auprès de l’OÉA ainsi qu’Elliott Abrams, conseillé américains auprès des généraux qui avaient organisé le coup d’État de 1992 contre Aristide.

L’Organisation des États américains : un Irak en Haïti

Le désir de faire d’Haïti une démocratie représentative de la même manière qu’en Irak correspond à l’objectif des grandes puissances d’élargir leur zone d’influence. Dans les Amériques, les mécanismes de subjugation politique sont codifiés dans la Charte Démocratique Interaméricaine de l’Organisation des États Américains (OÉA), véritable Cheval de Troie de l’impérialisme.

La Charte « Démocratique » de l’OÉA « reconnaît que la démocratie représentative est indispensable à la stabilité, à la paix et au développement de la région, et que l'un des buts de l'OEA est de promouvoir et de consolider la démocratie représentative… » De ce fait, elle admet comme unique système politique acceptable dans les Amériques, le système politique anglo-américain de démocratie représentative.

Par conséquent, si l’un des peuples des Amériques venait à désirer un autre genre de démocratie, l’OÉA agirait pour le contrer. De cette façon, elle stipule que « si le gouvernement d'un État membre estime que son processus politique, institutionnel et démocratique ou son exercice légitime du pouvoir se trouvent en péril, il peut recourir au Secrétaire général ou au Conseil permanent pour rechercher une assistance en vue du renforcement et de la préservation de la démocratie institutionnelle. » La Charte, par cet article, rend légitime une intervention dans les affaires internes des nations au nom de leur définition de la démocratie. Ainsi, n’importe quelle justification peut et pourra servir pour s’immiscer dans un pays voisin « victime » d’un désir de changement.

Il s’ensuit que la Charte, par la soumission au droit à la démocratie dans un mécanisme appelé démocratie représentative, décide à l’avance et de façon obligatoire pour tous les peuples. Cela en vient à ériger en loi du continent l’abandon du pouvoir souverain de chaque peuple par chaque peuple. Or, le moyen du droit de vote universel devient un instrument mis au profit des partis politiques et des hommes de propriété d’aujourd’hui dans chaque pays. C’est l’Irak en Haïti ! Comble de tout, le Canada y joue un rôle de chef de file avec les États-Unis et la France au même titre que la Grande-Bretagne et le États-Unis en Irak

Franc-Parler est d’avis que le peuple haïtien et lui seul a la capacité de résoudre les problèmes auxquels Haïti fait face. Pendant trop longtemps, le peuple haïtien a souffert du diktat des puissances étrangères. Il convient de saluer la vigilance des Haïtiens après les élections frauduleuse. Ainsi, ils tracent la voie vers la fin de l’occupation et l’affirmation de leur souveraineté.

[1]-Hymne national d’Haïti.
[2]-Le groupe 184 était un regroupement d’organisations dirigées par des anciens tontons macoutes, d’anciens généraux de l’armée haïtienne dissoute et d’autres « grandes figures » liées aux Etats-Unis.

(Franc-Parler, Vol.1, No.1 - 7 mars 2006)
francparlerjournal@yahoo.ca

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1 Comments:

Blogger Franc-Parler said...

Il est intéressant de noter que cet article et le premier numéro de Franc-Parler à été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme lors d’une conférence de Patrick Ellie, ancien secrétaire d’État haïtien à la sécurité publique sous le premier gouvernement Aristide, à Ottawa. Le deuxième numéro de Franc-Parler qui paraîtra le 21 mars accordera une attention encore une fois particulière à la lutte du peuple haïtien.

5:08 p.m.  

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