Un peuple assiégé

- Gabriel Girard-Bernier -

« À mon fils Shaul et à ses amis qui refusent d’apprendre à tuer. »

Les Palestiniens sont assiégés et humiliés. C’est la réalité crue montrée dans le documentaire Pour un seul de mes yeux du cinéaste et militant israélien Avi Mograbi, son neuvième son film. Avec la seconde Intifada en toile de fond, Mograbi, caméra à l’épaule, parcourt les points de passage du mur de « sécurité » érigé par Israël.

Ce long métrage présenté dans le cadre de la 8e édition du Festival du Film de l’Outaouais décompose les mythes fondateurs du sionisme. Dans un style coup de poing, l’auteur engagé met Israël face à ses responsabilités d’envahisseur et d’occupant en plein forteresse « ennemie ».

Le documentaire s’attaque à sa tâche principale, c’est-à-dire aux justifications de l’occupation israélienne sur trois fronts à la fois. Premièrement, à travers une conversation téléphonique entre Mograbi et un ami palestinien, emmuré chez lui depuis des semaines en raison d’un couvre-feu imposé par l’armée israélienne, son interlocuteur explique la mince ligne qui sépare la vie de la mort. Elle se rétrécit sans cesse au fil des humiliations. La trame narrative, cette conversation, trace le lien entre les deux autres fronts.

D’un autre côté, le cinéaste suit de jeunes étudiants juifs à travers les mythes du judaïsme. Il fait découvrir au cinéphile un aspect méconnu de la mythologie judaïque : le nihilisme mystique. Il ressasse la légende biblique de Samson qui aurait tué des milliers de Philistins en s’improvisant kamikaze, selon la grâce de Dieu.

Puis, le spectateur se trouve transporté sur les remparts de Massada, au milieu des vestiges de la forteresse où les occupants décidèrent, en mai 73, de se suicider plutôt que de se rendre aux soldats romains et ce, après sept ans de siège. Aux jeunes visiteurs du site, le guide soumet le choix entre la reddition, la prière, le combat ou le suicide. Ceux d'entre eux qui choisissent le suicide, affirment ainsi leur loyauté à l'égard d'Israël et Dieu. Cette évocation historique brise l’argument facile de l’extrémisme islamique pour condamner la résistance palestinienne.

Le troisième volet aborde de front les humiliations subies par le peuple palestinien. L’ancien assistant de Costa-Gavras et de Claude Lelouch traque des militaires du Tsahal en pleine zone militaire à la manière de Michael Moore. Il dénonce l’absurde des opérations militaires visant à empêcher des paysans arabes de cultiver ou les retenant à des contrôles de sécurité pendant des heures. Cette politique de surveillance s’applique aussi à des enfants se rendant à l’école. Des images fortes et poignantes ponctuent le documentaire, par exemple, celle d’une vieille femme en pleurs maudissant l’existence en répétant. « Ce n’est pas une vie ça. Une vie de rien. »

Avi Mograbi se situe dans une trame inhabituelle pour lui en réalisant un film sérieux et dur, lui qui donne dans un ton plus mordant et humoristique habituellement. Il trace un parallèle entre le passé des Juifs et le présent des Palestiniens.

Il détient un parcours personnel résolument antimilitariste et antisioniste. Pendant la guerre contre le Liban, il devient porte-parole d'un groupe de soldats qui refuse de servir dans l’armée israélienne. Cet épisode lui vaut quelques jours en prison. « Je soutiens sans ambiguïté l'existence de l'État d'Israël, mais j'estime qu'il ne doit plus être un État juif, mais un État pour tous ses citoyens à égalité », a-t il déjà déclaré. Cette phrase résume à elle seule son film et son combat.

(Franc-Parler, Vol.1, No.3 - 10 avril 2006)

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