Actualité - Un détenu de Guantanamo forcé de plaider coupable
Les questions de principes dans le cas de David Hicks
La réaction des médias et des politiciens australiens au plaidoyer de culpabilité de David Hicks le mois passé devant une commission militaire américaine à Guantanamo sur des accusations concoctées de « soutien matériel au terrorisme » indique combien les droits démocratiques et légaux les plus élémentaires sont minés.
Tout au long de la détention de Hicks, la question juridique la plus importante a été le droit de tout accusé, peu importe le crime allégué, à subir un procès selon les règles établies. Ce droit a peu ou pas de soutien dans les cercles dirigeants.
Un éditorial dans l’Australian, propriété de Murdoch, a décrit Hicks comme une personne ayant confirmé qu’elle était un « terroriste en entraînement ». Le Sydney Morning Herald a affirmé : « David Hicks est coupable; il l’a reconnu ». Un journal du même groupe de presse Fairfax, Australian Financial Review, a écrit que Hicks est « coupable » parce qu’il l’a admis « sous serment devant un tribunal militaire ».
Le premier ministre John Howard a dit que le verdict venait confirmer la position de son gouvernement selon qui Hicks est un terroriste dangereux. « Le fond de l’affaire sera toujours qu’il a plaidé coupable à l’accusation d’avoir sciemment aidé une organisation terroriste », a dit Howard aux journalistes.
Le dirigeant du Parti travailliste, Kevin Rudd, a acquiescé : « Nous ne sommes pas des défenseurs de M. Hicks, nous ne défendons pas ce qu’il a fait ou ce qu’on allègue qu’il a fait. » Rudd a dit qu’un gouvernement travailliste honorerait la sentence militaire américaine imposée à Hicks et qu’il l’emprisonnerait dans une prison australienne pour toute la durée des neuf mois.
Ces déclarations démontrent qu’il n’y a pas de limites que l’élite politique et médiatique ne franchira pas dans la « guerre contre le terrorisme » de durée indéterminé proclamée par l’administration Bush et ses alliés.
Il est clair pour tous que Hicks a été forcé de plaider coupable et de renoncer à son droit légal de contester sa détention illégale et son abus par l’armée américaine depuis cinq ans et demi. L’alternative à un plaidoyer de culpabilité et à neuf mois de prison supplémentaires était plusieurs années dans une cellule d’isolement à Guantanamo.
Howard a faussement affirmé que la négociation de peine était le résultat d’une entente intervenue entre les procureurs militaires et les avocats de Hicks.
En fait, dans ce qui est un autre exemple de l’illégalité qui a gouverné toute la procédure, le plaidoyer de culpabilité a été négocié directement avec la dirigeante méticuleusement choisie de l’Autorité de convocation des commissions militaires, Susan Crawford, une officielle de longue date du Parti républicain associée au vice-président américain Dick Cheney. Les procureurs eux-mêmes n’ont été informés de l’entente qu’après le début de l’audience de la commission militaire.
L’audience, qui a duré une semaine, a été une fraude dont l’unique but était d’approuver officiellement l’entente intervenue derrière les portes closes. Les procureurs militaires, de façon grotesque, ont continué à décrire Hicks comme le représentant mortel de l’ennemi, même après avoir été informés que le soi-disant procès se terminerait par une sentence de neuf mois.
C’était un arrangement politique concocté par le gouvernement Howard et l’administration Bush qui tentaient de légitimer les commissions militaires discréditées, de protéger l’administration Bush de poursuites judiciaires et de sauver Howard de l’indignation montante en Australie quant au sort de Hicks. Hicks ne sera relâché qu’après les prochaines élections australiennes prévues plus tard cette année et il lui est interdit de divulguer quoi que ce soit aux médias pour une année entière, en violation de ses droits politiques.
Un des principaux avocats criminalistes d’Australie, Robert Richter, a écrit dans le journal Age de Melbourne que « La fraude qui a eu lieu à Guantanamo Bay sont dignes des procès spectacles de Staline. Premièrement, il y a eu une détention indéfinie sans accusations. Ensuite, il y a eu torture, peu importe comment les procureurs de Bush, y compris son ministre de la Justice, choisissent de la décrire. Finalement, il y a eu l’extorsion de la confession de culpabilité. »
Comme dans les procès de Moscou de Staline des années 1930, l’accusé a été contraint de faire une confession publique, a été condamné d’après cette seule preuve, a été forcé de faire une humiliante « excuse » publique. De plus, Hicks disparaîtra probablement de la scène publique, alors que le gouvernement Howard se prépare à lui imposer un « ordre de contrôle » — une forme d’assignation à domicile — avec le soutient du Parti travailliste.
Richter conclut que Howard et ses ministres avaient commis de graves crimes sous le code criminel australien 1995, sections 104 (nuire à des Australiens à l’étranger) et 268D (refuser un procès équitable à une personne protégée par les Conventions de Genève), pouvant entraîner jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
De A à Z, l’incarcération, la torture et le « procès » militaire de David Hicks ont constitué un affront illégal, menés uniquement sous les ordres exécutifs du président des Etats-Unis, en tant que commandant en chef de l’armée américaine.
Des protections et principes légaux fondamentaux contre le totalitarisme ont été renversés, y compris la règle de l’habeas corpus, vieille de plusieurs siècles, interdisant l’emprisonnement sans ordonnance de la cour, des interdictions légales contre l’usage de la torture et d’autres formes de contraintes physiques et mentales, et les Conventions de Genève sur les crimes de guerre et les droits des prisonniers de guerre.
Hicks a été initialement capturé par des seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord en Afghanistan en novembre 2001, peu après l’invasion américaine de ce pays : un acte d’agression militaire pour renverser le gouvernement taliban. A ce moment, ce n’était pas un crime selon le droit américain, australien ou international, de participer à des entraînements avec les talibans ou al-Qaïda. Néanmoins, il fut vendu à l’armée américaine pour une prime de 1000$, battu et torturé, et ensuite envoyé Guantanamo Bay, où il fut encore agressé et maintenu en isolement.
Bush et son conseiller juridique (actuellement ministre de la Justice) Alberto Gonzales ont soutenu que le président avait le pouvoir unilatéral d’ignorer les Conventions de Genève et de cataloguer des prisonniers en tant que « combattants ennemis », pouvant être incarcéré indéfiniment sans procès. De la même façon, Bush et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avaient donné leur autorisation à des méthodes coercitives d’interrogation à Guantanamo Bay et à d’autres installations américaines (comme la prison d’Abou Ghraib à Bagdad) qui violaient clairement le droit américain et international, y compris la Convention contre la torture de l’ONU.
Durant les cinq années suivantes, l’administration Bush a bénéficié du soutien total de Howard et de ses principaux ministres, dont le ministre des Affaires étrangères Alexander Downer et le ministre de la Justice Philip Ruddock, qui ont à maintes reprises qualifié Hicks et un autre détenu australien, Mamdouh Habib, de dangereux terroristes « de la pire espèce ». Howard a ouvertement déclaré que Hicks ne pouvait être rapatrié en Australie pour subir son procès, car il n’avait justement commis aucun crime selon la loi australienne.
Ce n’est qu’à partir de juin 2004 que des accusations ridicules et inventées furent portées contre Hicks, dont des accusations de « complot » et de tentative de meurtre, qui ne constituent nullement des crimes de guerre en vertu du droit international. Deux ans plus tard, en juin 2006, ces accusations durent être abandonnées lorsque la Cour suprême des Etats-Unis jugea que les commissions militaires de l’administration Bush étaient illégales car leur instauration, leurs règles et leurs procédures contrevenaient à la constitution américaine et au droit international. Malgré tout, Hicks fut traîné devant un « tribunal irrégulier » pratiquement identique après que les démocrates américains eurent fait cause commune avec l’administration Bush afin de ressusciter législativement les commissions militaires.
Hicks fut accusé rétroactivement d’action illégale : avoir fourni du soutien matériel à une organisation terroriste. La Loi sur les commissions militaires de 2006 définissait ce crime dans des termes les plus vagues possibles, rendant ainsi la défense à ces accusations presque impossible. Même donner un verre d’eau à Oussama Ben Laden contreviendrait à la loi selon Joshua Dratel, l’avocat américain de Hicks, à l’émission « Four Corners » de l’Australian Broadcasting Corporation.
Confronté à la possibilité quasi certaine d’être condamné et de croupir durant des années à Guantanamo Bay afin de contester le procès dans les tribunaux américains, Hicks a été forcé de signer document tout à fait inconstitutionnel, dans lequel il admettait entre autres sa culpabilité.
Il a été obligé de promettre de ne pas communiquer pendant un an de « quelque manière que ce soit » avec les médias, incluant les « communications indirectes » par les membres de sa famille ou « par toute autre personne ». Cette clause viole le droit de base à la liberté d’expression, aussi bien que la liberté de parole incluse dans la constitution américaine, et le droit implicite de communiquer ses opinions politiques incluses dans la constitution australienne.
Hicks a également renoncé à tous ses droits d’en appeler, ou de contester sa condamnation sur des bases constitutionnelles, et a reconnu que le gouvernement américain avait le droit de le capturer de nouveau en tant « qu’ennemi combattant illégal » s’il croit qu’il s’est engagé dans une activité proscrite.
Hicks a déclaré qu’il n’avait « jamais été traité illégalement » par un membre du personnel américain et acceptait que « cette entente mettait en pièces toutes prétentions de mauvais traitement par les États-Unis ». Pourtant, en 2005 Hicks avait décrit en détail le traitement qu’il avait subit dans une déclaration sous serment pour une cour anglaise, au soutient d’une requête visant à renverser la décision antidémocratique du gouvernement Blair lui refusant son droit à la citoyenneté britannique sur la base de ces liens familiaux.
Il avait raconté qu’en Afghanistan, il avait été frappé au visage et avait reçu des coups de pied, qu’il avait été frappé au corps et qu’on lui avait craché dessus, qu’il pouvait entendre d’autres détenus crier de douleur, pouvait voir les marques des coups qu’ils avaient reçus et qu’une arme fut pointée sur lui lors d’interrogatoires. À Guantanamo, il a subi plusieurs techniques approuvées par le Pentagone, comme être soumis à des températures extrêmes, être privé de sommeil et soumis à du bruit excessif. Il a aussi vu un détenu subir les attaques de chiens, un autre se faire frapper contre un mur de béton jusqu’à l’inconscience, et on lui a montré une photo de Mamdouh Habib, laissé pour mort, le visage noir et bleu.
En mars 2003, il a dit croire qu’il devait faire « tout ce qui pouvait plaire à ceux qui me questionnaient pour éviter les abus physiques, d’être placé en isolement et de rester à Guantanamo pour le restant de ma vie. » À ce moment, il signa une longue déclaration incriminante pour les officiels américains.
Aucune de ces violations n’aurait pu être possible sans l’aide essentielle que le Parti travailliste australien a donnée au gouvernement Bush durant les 5 dernières années en répétant toutes les accusations non fondée contre Hicks.
Confrontés à l’opposition populaire croissante aux souffrances de Hicks au cours des douze derniers mois, les travaillistes, comme le gouvernement d’Howard, en appelèrent à Washington pour accélérer le processus des commissions militaires afin que cette question puisse être retirée de l’agenda politique.
Dans la foulée du plaidoyer d’Hicks, Rudd, le dirigeant travailliste, a spécifiquement endossé le pouvoir du gouvernement d’imposer une mesure de contrôle controversée contre Hicks, alors qu’une autre figure travailliste, le premier ministre de l’Australie du Sud, Mick Rann, demanda qu’elle mesure de contrôle le gouvernement fédéral entendait-il imposer à ce « dangereux terroriste ».
Dans son article du Age, Robert Ritcher, exprima l’inquiétude répandue dans la profession juridique, aussi bien que le dégoût ressenti par de larges couches de la population ordinaire, sur l’étendue du rejet des principes traditionnels du système légal au nom des intérêts de l’administration Bush et de ses alliés.
Mais les réactions des éditorialistes et des politiciens, des deux gouvernements et des travaillistes, indiquent que la criminalité qui émane de la Maison-Blanche est loin d’être confinée aux cercles dirigeants des États-Unis.
(World Socialist Web Site, par Mike Head - 24 avril 2007)
Libellés : Camps de concentration de Guantanamo
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