Actualité - Déclassification de documents des années 70 sur les crimes de la CIA
Le directeur actuel de la CIA, le général Michael Hayden, a annoncé la décision de déclassifier les documents, connus dans l’agence sous le nom des « bijoux de famille », lors d’une conférence de la Société des historiens des relations des Etats-Unis avec l’étranger qui a eu lieu à Washington le jeudi 21 juin.
« Une grande partie (de ces informations) a déjà été révélée par la presse et, pour la plupart, elles ne sont pas flatteuses, mais c'est l'histoire de la CIA », a dit Hayden. « Ces documents fournissent un éclairage sur une époque très différente et une agence très différente. »
Au contraire, les questions soulevées dans ce rapport — les assassinats, l’espionnage intérieur, les enlèvements et la torture — sont très familières à quiconque suit les activités que la CIA et les autres agences de sécurité américaines ont menées au nom de la « guerre globale contre le terrorisme ».
Le document de 693 pages a été assemblé en réponse à une directive de 1973 de James Schlesinger, directeur de la CIA à cette époque, ordonnant à des responsables seniors de l’agence de lui faire un compte rendu de tous les gestes commis en violation de la charte de l’agence, qui interdit spécifiquement à la CIA de mener des opérations aux États-Unis.
L’ordre de Schlesinger de cataloguer ces activités illégales est venu après l’arrestation de deux agents de la CIA de longue date — E. Howard Hunt et James McCord — en rapport avec l’entrée par infraction dans les bureaux du Parti démocrate dans l’édifice de Watergate. La crise du Watergate a mis à nu l’implication plus large de l’agence dans le soi-disant « sale coup » mené par l’administration Nixon contre ses adversaires politiques.
C’est dans ces conditions, et suite à la démission de Richard Nixon, que le successeur de Schlesinger à la tête de la CIA, William Colby, a fait la liste de tous les « squelettes » dans le placard de l’agence et l’a présentée au président Gerald Ford.
Alors qu’une partie de ce document avait déjà été coulée et que la majorité de son contenu avait été publiquement dévoilée lors des enquêtes de la Chambre des représentants et du Sénat sur l’agence — le comité Pike et le comité Church — au milieu des années 70, jusqu’à ce jour, la CIA avait obstinément refusé de déclassifier ce matériel.
Personne ne doute que ce qui sera rendu public sera trié sur le volet pour filtrer toute information pouvant mener à la mise en accusation de participants aux crimes de cette période qui sont encore en vie, l’ancien secrétaire d’Etat et conseiller important de l’administration Bush, Henri Kissinger, n’étant pas le moindre de ceux-là.
Dans son discours à la conférence des historiens, Hayden a avertit : « N’oubliez pas que rien sur l’espionnage et la déclassification ne survient sans intervention humaine. Nous ne pouvons pas — et nous ne voulons pas — juste mettre tout ce matériel sur le bord du chemin. Nous devons examiner toutes les pages, une par une, et les juger à l’aune de la sécurité mondiale dont j’ai déjà fait mention. Il faut du temps. Il faut être soigneux. Il faut du talent. »
En rapport avec l’annonce d’Hayden, les Archives nationales sur la sécurité de l’Université George Washington ont publié un ensemble de documents sur leur site web. Parmi ceux-ci, on trouve un résumé des « bijoux de famille » fait par le secrétariat américain de la Justice et des mémos de conversations entre Colby, Schlesinger, Kissinger et Ford sur leur implication dans ces actes et sur la façon de protéger la CIA et l’administration elle-même de leurs conséquences.
Le résumé a été effectué par le secrétariat de la Justice en décembre 1974 après qu’un article de Seymmour Hersh soit paru en première du New York Times sous le titre : Immense opération de la CIA aux Etats-Unis contre les forces anti-guerre et d’autres dissidents dans les années Nixon ».
Tentant de limiter les dégâts de ces révélations, la CIA, le secrétariat de la Justice et la Maison-Blanche ont commencé à discuter du document assemblé par l’agence.
Parmi les crimes que citait Colby dans sa présentation au secrétariat de la Justice, on trouve l’emprisonnement forcé pendant trois années d’un transfuge soviétique, que Colby reconnaît comme « pouvant être considéré comme une violation des lois sur l’enlèvement ».
Il a aussi reconnu l’existence de multiples épisodes d’espionnage de la CIA sur des journalistes dans le but de découvrir leurs sources. Parmi ceux qui avaient été ciblés se trouvaient Jack Anderson et ses assistants — y compris l’actuel présentateur de nouvelles de Fox News, le droitiste Brit Hume — le journaliste du Washington Post couvrant la sécurité nationale Michael Getler et deux journalistes d’agence, Robert Allen et Paul Scott.
Le rapport a aussi dévoilé l’existence d’entrées par effraction dans les résidences d’anciens employés de la CIA et de surveillance secrètes de lettres en provenance et en direction de l’Union soviétique et de la Chine.
Colby a aussi reconnu la participation de la CIA dans des complots d’assassinats contre le président cubain Fidel Castro, le chef du mouvement d’indépendance congolais Patrice Lumumba et le dictateur dominicain Rafael Trujillo. Colby a aussi soutenu que la CIA n’avait joué aucun rôle actif dans l’assassinat de Lumumba ou Trujillo, mais a admis qu’il existait un « faible lien » entre la CIA et les assassins de ce dernier.
Le directeur de la CIA a de plus admis que l’agence avait participé à l’espionnage et à l’infiltration d’organisations anti-guerre et d’autres opposants du gouvernement durant les années 60 et 70, amassant ainsi les noms d’environ 10.000 opposants actifs à la guerre du Viêt-Nam.
Il fut aussi reconnu que l’on avait soumis, « sans qu’ils en aient conscience », des participants américains à des expériences impliquant des drogues testées aux fins d’interrogatoires et des tests de polygraphe et de matériel d’écoute.
Le résumé de la conversation entre Kissinger et Ford présente le secrétaire d’Etat de l’époque et architecte de certains des crimes les plus sanglants de Washington comme apoplectique. Il avait averti le président que l’article du Times sur l’espionnage à grande échelle au pays ne représentait « que la pointe de l’iceberg ». Par rapport aux faits qui n’ont pas été inclus dans le rapport, il a déclaré : « S’ils deviennent connus, du sang coulera. » En exemple, il mentionna le rôle joué par Robert Kennedy (l’ancien ministre de la Justice et frère du président) en dirigeant personnellement la campagne d’assassinat contre Castro. Il ajouta que les conséquences pourraient être « pires… que le Watergate ».
Kissinger nota que « l’affaire chilienne » ne se trouvait pas dans le rapport de Colby, insinuant de façon lugubre que cela avait été gardé hors du rapport pour maintenir « une sorte de chantage contre moi ».
Lors du coup d’Etat de 1973 au Chili, Kissinger et la CIA avaient tenu des rôles décisifs en organisant le renversement militaire d’un gouvernement élu et le règne de terreur qui s’en suivit lors duquel des dizaines de milliers de Chiliens furent tués et torturés.
En effet, ce crime et d’autres ne furent pas ajoutés aux « bijoux de famille » de Colby, la direction de la CIA ayant vraisemblablement jugé qu’ils ne représentaient pas une violation de la charte d’après laquelle l’agence fut fondée en 1947.
Le coup d’Etat au Chili ne fut qu’un élément parmi une longue série de massacres, de coups d’Etat et de guerre sales organisées par la CIA en Iran, au Guatemala, en Indonésie, au Congo, au Viêt-Nam, en Afghanistan et dans beaucoup d’autres pays.
La tentative de Hayden de présenter le nombre limité de crimes qui se sont retrouvés dans le dossier monté par Colby comme des reliques d’une époque lointaine et révolue depuis longtemps ne résiste pas vraiment à une étude minutieuse. En effet, la publication de documents qui datent presque de 35 ans ressemble à une tentative de détourner l’attention des crimes beaucoup plus récents et sérieux qui sont perpétrés présentement.
Plusieurs éléments démontrent que l’agence a rarement été plus impliquée dans des activités criminelles qu’aujourd’hui, alors que les limites imposées à l’establishment de la sécurité nationale à la suite des révélations du milieu des années 70 ont essentiellement étaient mises de côté depuis 2001, avec le passage du Patriot Act des Etats-Unis et l’exercice de pouvoirs toujours plus importants, y compris un important programme de surveillance aux Etats-Unis, par la Maison-Blanche de Bush.
Dans ses commentaires à la conférence de Washington, Hayden a reconnu que les pressions reliées à la croissance des opérations avait ralenti une partie du travail visant à rendre des documents publics. « Le rythme des opérations que nous avons maintenu depuis le 11-Septembre, et que devons continuer à maintenir, est inégalé dans l’histoire de notre agence », a-t-il affirmé. « La bonne nouvelle est que nous produisons du bon matériel pour les futurs historiens. »
De quoi sera fait ce « bon matériel » ? Parmi les « opérations » actuelles qui ont été au moins en partie dévoilées se trouve l’implication de la CIA dans l’enlèvement illégal de présumés suspects et leur transfert à des prisons secrètes dans de nombreuses parties du monde où ils ont été soumis à la torture et dans certains cas ont été tués. Des agents de la CIA ont été accusés et ont dû subir un procès en Italie pour une telle « remise extraordinaire ».
De plus, des escadrons de la mort et des équipes d’assassins de la CIA ont été déployés en Irak, en Afghanistan, en Somalie et ailleurs.
Il est improbable, et c’est le moins que l’on puisse dire, que l’agence se prépare à publier des documents faisant la description de ces activités criminelles. Comme Hayden a déclaré à son auditoire d’historiens : « Bien sûr, nous ne pouvons pas dire au peuple américain tout ce que nous faisons pour le protéger sans porter atteinte à notre capacité de le protéger. »
(World Socialist Web Site, par Bill Van Auken)
Libellés : États-Unis
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