Un dimanche à la piscine de Kigali

- Karine Régimbald -

Le 7 août 1994, au terme de tensions extrêmes entre les Hutus et les Tutsis, le Rwanda est baigné dans le sang. Cette journée marque le début du génocide le plus rapide de l’histoire. En cent jours, 800 000 personnes décèdent des suites d’une guerre clanique meurtrière. Cet événement marquant du milieu des années 90 est directement relié à l’époque coloniale de cette région où les Allemands, les Belges et le Français se sont partagés le territoire pour servir leurs desseins de règne et de domination. Pour mieux imposer leur diktat dans ce coin du monde, les régimes successifs divisent le peuple selon le schéma colonial de « diviser pour régner ». Les Belges, dans leur délire hégémonique, vont jusqu’à créer des cartes d’identité avec une mention spéciale pour distinguer les Tutsis des Hutus. Cette structure hiérarchique attribue des caractéristiques raciales aux deux ethnies.

« Le Hutu, paysan pauvre, est court et trapu et il a le nez caractéristique des races négroïdes. Bon enfant, mais naïf, il est rustre et peu intelligent. Le Hutu est dissimulateur et paresseux, et son caractère est ombrageux. C’est un nègre typique. »

« Le Tutsi, éleveur nomade, est grand et élancé. Sa peau est d’un brun clair qui s’explique par ses origines nordiques. Il est intelligent, raffiné et habile au commerce. Il a l’esprit pétillant et le caractère agréable. »

Le 6 avril 1994, le pays est en pleine ébullition. Le président Juvénal Habyarimana, un Hutu élu, meurt dans l’explosion de son avion alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Kigali. Deux missiles atteignent son appareil. Cet événement donne aux Hutus l’opportunité de prendre les rennes pour gouverner le Rwanda. La tension dans le pays est palpable. Une insécurité et une animosité s’installent pour créer une ambiance tumultueuse. Cette terre assiégée par la maladie et par des années de lutte explose de l’intérieur.

Des brigades hutus se placent au quatre coins de la ville pour opérer un contrôle racial sans merci. « Sinon, il aurait fallu marcher une bonne heure dans une ville que le couvre-feu transformait chaque soir en terrain de chasse pour les soldats et leurs acolytes miliciens, généralement ivres, qui distribuaient la séropositivité comme les curés, les indulgences. »

La fatalité dégagée dans l’expression des personnages du livre est prenante. Chaque être semble condamné à mort dans le chaos de la vie à Kigali. La mort les guette quotidiennement. L’ombre de la faucheuse s’intensifie et se déploie. Quand ce n’est pas les machettes qui découpent leur existence et les séparent de leur famille, c’est le sida qui s’introduit subtilement dans le corps du peuple et sème la terreur dans la population. Malgré la menace constante qui plane, la maladie se présente comme un choix invitant en comparaison de la décapitation. « Une fin triomphale pour une vie de trente et un ans, une fin qu’il ne craignait plus car il préférait mourir du sida que haché par une machette ou déchiqueté par une grenade. "

La société de préjugés dans laquelle vit ce peuple, condamne ses habitants à vivre emprisonnés dans leur ville à la merci du destin cruel. « Méthode mourait d’une maladie honteuse, c’était qu’il était né dans la honte. La honte de la pauvreté, celle de la discrimination, de l’université interdite, de la bourse refusée, de la terre et de la maison si exiguë qu’il était vite parti pour la ville, la honte du mariage impossible pour cause de pauvreté et de pénurie de logement, et puis une fille pour quelques brochettes et une bière, une fille pour oublier l’emprisonnement et la peur, une fille pour une petite jouissance rapide, ce n’est pas péché, c’est l’imitation du bonheur. »

Les Hutus réclament justice pour les années de souffrances vécues, conséquences des agissements racistes et xénophobes des colonisateurs. Ils veulent prouver leur capacité de gérer et de gouverner leur pays. La répression du régime colonialiste nourrit leur sentiment guerrier.

« Nous allons plonger dans une horreur unique dans l’histoire, nous allons violer, égorger, couper, charcuter. Nous allons éventrer les femmes devant leur mari, puis mutiler le mari avant que sa femme ne meure au bout de son sang, pour être certains qu’ils se verront mourir. Et pendant qu’ils agoniseront, qu’ils en seront à leur dernier souffle, nous violerons leurs filles, pas une fois, mais dix fois, vingt fois. Et les vierges seront violées par des soldats sidéens. Nous aurons l’efficacité sauvage des primitifs et des pauvres.» Ce serment de vengeance des Hutus exprime toute la rancune et la haine de ce peuple ridiculisé et châtié. Cette rage et ce ressentiment se cache derrière chaque coup de machette.

Malgré ce spectacle terrifiant, les grandes puissances restent spectatrices de ces œuvres destructrices et inhumaines. « Dans les desseins des grandes puissances, ces gens étaient une quantité négligeable, hommes hors de l’humanité réelle, ces pauvres et inutiles Rwandais que le monarque moderne de la grande civilisation française acceptait de regarder mourir pour ne pas mettre en péril la présence civilisatrice de la France en Afrique… » Les frissons de l’horreur et des massacres font résonner un cris d’alarme à l’humanité. Un cri ignoré par les grandes puissances qui restent de marbre.

Un dimanche à la piscine de Kigali dépeint les horreurs des assauts meurtriers inter-ethniques dans une guerre civile qui dégénère en génocide. Le langage cru et sanglant du récit présente la réalité des massacres perpétrés. Les nombreux frissons et le sentiment d’impuissance engendré par la lecture du texte transportent le lecteur en terre africaine dans le cœur du conflit. Ce livre trace le portrait d’un peuple en crise laissé à lui-même, oublié dans leur cauchemar. Il dénonce la destruction humaine. Il exprime la déchirure, la séparation des familles, les amours détruits par les massacres. Il dessine des images fortes pour munir le roman d’une intensité page après page.

(Franc-Parler, Vol.1, No.3 - 10 avril 2006)

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