Actualité - L’administration Bush n’atteint pas ses « objectifs » en Irak
Les objectifs ont pour but de faire pression sur le gouvernement irakien dominé par les Chiites et les Kurdes pour qu’il accepte un nouveau partage des pouvoirs. Les Etats-Unis veulent que des concessions importantes soient faites aux élites arabes sunnites de l’ancien régime baasiste de Saddam Hussein, espérant que des sections importantes de l’insurrection sunnite mettent fin à leur résistance armée. La marginalisation des baasistes et le rôle de premier plan donné aux partis chiites et kurdes après l’invasion américaine ont joué un rôle dans l’éruption de la guérilla anti-occupation dans les régions sunnites ainsi que dans le développement subséquent de la guerre civile confessionnelle.
La rénovation du gouvernement marionnette de Bagdad était aussi une composante essentielle de la stratégie de l’administration Bush pour la région dans son ensemble. Alors qu’elle attise les tensions avec l’Iran, la Maison-Blanche recherche le soutien des Etats dits sunnites tels que l’Arabie saoudite et l’Egypte, qui sont hostiles à la croissance de l’influence iranienne dans la région et particulièrement sur le gouvernement irakien. En partie, les « objectifs » américains visent à établir un régime à Bagdad qui sera plus acceptable aux yeux des alliés régionaux des Etats-Unis et qui appuiera toute action militaire américaine contre l’Iran chiite.
Une des priorités de Washington est l’adoption d’une loi irakienne sur le pétrole qui ouvrira le pays aux compagnies américaines, mais la loi est bloquée à cause d’intérêts antagonistes.
L’administration Bush a demandé que le gouvernement irakien revoie la constitution irakienne, écrite par les Etats-Unis en 2006, qui donnait le contrôle sur la nouvelle production de pétrole aux provinces dominées par les Kurdes au nord et les Chiites au sud, là où l’on trouve les principaux gisements pétrolifères. A moins que la constitution ne soit changée, le gouvernement irakien central et les provinces à majorité sunnite de l’ouest et du centre du pays, pauvres en ressources, verront la plus grande partie des revenus provenant de l’exploitation du pétrole aller vers les élites kurdes et chiites. L’establishment sunnite aliéné n’a aucun avantage économique à retirer son appui à la lutte armée anti-américaine.
Autre concession aux élites sunnites, les Etats-Unis ont insisté pour que l’on mette fin à la politique de « débaatisation » par laquelle les membres seniors du Parti Baas sont exclus du gouvernement, de l’administration de l’Etat et de l’armée. Bush veut aussi que des élections provinciales aient lieu au cours de l’année, ce qui permettrait aux partis sunnites, qui avaient boycotté le précédent scrutin, de reprendre le contrôle des provinces sunnites.
La Maison-Blanche a supposé que les factions kurdes et chiites se rangeraient aux demandes américaines. Sur le front politique, toutefois, l’escalade militaire a clairement échoué.
Le comité sur la réforme de la constitution irakienne, qui devait présenter ses recommandations de changement de la constitution au parlement avant le 22 mai, n’a pu s’entendre sur un document final. Les partis nationalistes kurdes, alliés clés de l’occupation américaine depuis le tout début, ont refusé d’accepter des changements qui retireraient le contrôle des nouveaux puits de pétrole au gouvernement semi-autonome régional kurde (KRG) qui administre les trois provinces du nord, à majorité kurde.
Certains dirigeants chiites se sont aussi opposés à tout affaiblissement des pouvoirs régionaux et provinciaux reliés à l’industrie pétrolière. Le Conseil suprême islamique en Irak (CSII), un autre allié crucial des Etats-Unis, a exprimé le désir d’établir une région chiite au sud de l’Irak qui contiendrait la majorité des champs pétrolifères irakiens inexploités.
Les Etats-Unis ont participé à l’élaboration d’une loi, acceptée par le cabinet de Maliki en avril, qui retire aux régions le contrôle sur le pétrole. Le parlement devrait voter la loi d’ici le 31 mai. Cette loi fait en sorte que le contrôle de 93 pour cent des champs pétrolifères inexploités de l’Irak passe à une compagnie pétrolière d’Etat, qui serait responsable devant le gouvernement central et qui accorderait des contrats à des sociétés étrangères. Les revenus seraient amassés par le gouvernement national, qui les distribuerait ensuite aux provinces selon la population et les besoins.
Cependant, le fait de ne pas avoir réussi à modifier la constitution rend inefficace la nouvelle loi sur le pétrole. Le 27 avril, le KRG avait émis une déclaration qualifiant le projet de loi d’« inconstitutionnel ». Il avait déclaré que la loi « ne sera pas appuyée par le KRG au parlement fédéral ». L’établissement d’une compagnie pétrolière nationale, a soutenu le KRG, « transgresse la constitution irakienne qui exige que le secteur pétrolier soit développé par des investissements privés, que le contrôle de nouveaux champs pétrolifères appartienne aux instances régionales et que les champs actuels soient développés conjointement par les régions et le gouvernement fédéral ».
La constitution originale définit aussi que le KRG possède un droit de veto contre tout changement affectant ses pouvoirs. La clause 126 (4) du document stipule : « Des articles de la constitution ne peuvent être amendés si de tels amendements retirent des pouvoirs aux régions qui ne sont pas sous le contrôle exclusif des autorités fédérales, ou sans l’approbation de l’autorité législative de la région en question et l’approbation de la majorité de ses citoyens dans un référendum général. »
Les partis kurdes se sont aussi opposés à tout changement de la date, déterminée constitutionnellement, du 31 décembre 2007, qui verra la tenue d’un référendum dans la province de Kirkouk pour déterminer si celle-ci fera partie de la région kurde. Plus de 40 pour cent des champs pétrolifères irakiens connus se trouvent dans la province de Kirkouk.
Le mouvement chiite dirigé par l’imam Moqtada al-Sadr, deux partis sunnites et le front laïc dirigé par l’ancien premier ministre par intérim Iyad Allawi ont déclaré leur opposition au référendum. L’International Crisis Group a averti dans un rapport publié en avril qu’il était probable qu’une guerre civile totale éclate au nord de l’Irak si les partis kurdes ne laissaient pas tomber leurs ambitions de s’emparer de la province. Des représentants des communautés arabes et turkmènes de Kirkouk ont menacé de recourir aux armes afin d’empêcher le référendum — qui a été structuré pour faire en sorte qu’une grande majorité des électeurs soient kurdes.
Pendant que les nationalistes kurdes bloquent la loi sur le pétrole et menacent de déstabiliser le nord, les partis chiites du gouvernement font de l’obstruction à tout relâchement dans la politique de « débaatisation ».
L’establishment clérical chiite, le CSII et le mouvement sadriste se sont opposés à toute réhabilitation importante des hauts dirigeants de l’ancien régime. Alors que l’administration Bush considère que la « réconciliation nationale » est un ingrédient essentiel pour convaincre les insurgés sunnites à déposer les armes, les factions religieuses chiites la perçoivent comme une menace à leur pouvoir et privilèges. De plus, leurs partisans parmi la population chiite, victimes d’une violente répression sous Saddam Hussein, s’opposent vigoureusement à toute concession aux baasistes.
La semaine dernière, un législateur sadriste, Falah Hassan Shansal, a déclaré au Washington Post : « Si le prix à payer pour la réconciliation nationale est le retour des assassins baasistes, nous nous opposerons à la réconciliation. »
Le gouvernement Maliki retarde la fixation d’une date pour la tenue des élections provinciales. Le parti Da’wa de Maliki et le SIIC craignent que le mouvement sadriste gagne le contrôle de la plupart des provinces du sud à prédominance chiite si les élections sont tenues.
Une section significative de la population voit le Da’Wa et le SIIC comme des marionnettes américaines. Par opposition, les sadristes ont mené la lutte d’un bref soulèvement contre les forces américaines en 2004. Bien qu’ils aient par la suite adhéré à une coalition avec d’autres parties chiites et le gouvernement, les sadristes ont renforcé leur base d’appui en demandant à l’administration Bush d’établir un échéancier pour le retrait de toutes les troupes américaines et étrangères. En avril, alors que l’opposition populaire augmentait en réaction à l’ « escalade » américaine, Sadr a donné l’ordre à ses supporteurs de démissionner du conseil des ministres de Maliki.
Les sadristes ont boycotté les élections provinciales en 2005, mais croient qu’ils pourraient gagner presque tout le sud dans une nouvelle élection. Dans une démonstration de force politique, des centaines de milliers de personnes ont pris part à un ralliement sadriste à Najaf le 9 avril pour protester contre l’occupation américaine. Au cours des derniers mois, des affrontements sanglants ont pris place entre l’Armée du Mahdi sadriste et des milices chiites rivales à Basra, Najaf, Nasriyah, et dans d’autres plus petites villes du sud, alors que les rivalités locales s’intensifient.
Préoccupé par le fait que le mouvement sadriste ne devienne un dangereux pôle d’attraction au mouvement d’opposition à l’occupation américaine, les militaires américains cherchent à affaiblir ou à détruire l’Armée du Mahdi et à prendre le contrôle de son bastion dans la banlieue de Sadr City à Bagdad. Cependant, les opérations militaires américaines contre l’Armée du Mahdi n’ont que très peu affaibli son influence.
Cherchant à élargir leur autorité, les sadristes ont entrepris des pourparlers avec les tribus et les organisations sunnites afin d’établir une alliance politique. Certains partis sunnites partagent une base commune avec les sadristes. Les deux proposent un gouvernement central fort contrôlant les ressources pétrolières du pays et rejettent les prétentions kurdes sur Kirkouk. Les deux font également appel à de larges couches de la population profondément hostiles à l’occupation américaine.
Associated Press, citant un initié sadriste, rapportait le 23 mai que Sadr se préparait pour le jour de la prise du pouvoir de son mouvement à Bagdad. L’article de l’AP déclarait: « La stratégie d’al-Sadr est en partie basée sur la croyance que Washington allait bientôt commencer à retirer les troupes ou à les réduire significativement, laissant derrière un énorme trou dans la structure politique et sécuritaire en Irak, ont dit les associés d’al-Sadr… Al-Sadr croit également, ont dit ses associés, que le gouvernement du premier ministre chiite Nouri al-Maliki n’allait plus durer longtemps, étant donné son échec en matière de sécurité, de service et en matière économique.
Un effondrement gouvernemental sera certainement suivi d’un réalignement politique dans lequel le mouvement sadriste a de bonnes chances d’apparaître comme le joueur principal. »
L’incapacité du gouvernement Maliki d’atteindre un seul des objectifs de Bush, combiné aux divisions persistantes entre les différentes factions sectaires et ethniques, pourraient bien inciter les Etats-Unis à suspendre le parlement et à établir une forme de junte de « salut national. » Il y a eu des rapports au cours de la dernière année selon lesquels l’administration Bush soupèse la possibilité d’installer un homme fort militaire pour simplement imposer les demandes américaines au pays.
Il est clair, cependant, qu’un tel régime fantoche n’aura aucune base sociale d’appui et que sa survie sera totalement dépendante des militaires américains. Il sera confronté à un nord kurde de plus en plus hostile, à une insurrection continue dans les zones sunnites et à la perspective d’un soulèvement dirigé par les sadristes impliquant des millions de chiites à Bagdad et dans le sud de l’Irak.
(World Socialist Web Site, par James Cogan - 1er juin 2007)
Libellés : États-Unis
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