Actualité - Le cycle de négociations de Doha agonise sous les récriminations
Les discussions qui ont eu lieu à Potsdam entre les membres du G4 (les Etats-Unis, l’Union européenne [UE], l’Inde et le Brésil) avaient pour but de définir les grandes lignes d’un accord pour sortir de l’impasse les discussions entre l’ensemble des 150 membres de l’OMC.
L’échec était une répétition de l’effondrement des discussions à six qui ont eu lieu il y a un an, même si à cette occasion les récriminations étaient quelque peu différentes. L’an dernier, cinq partis tendaient à blâmer les Etats-Unis. Cette fois, les Etats-Unis et l’UE se sont ligués contre le Brésil et l’Inde.
Le ministre indien du Commerce, Kamal Nath, a accusé les pays riches d’arrogance et d’inflexibilité. « Ce n’est pas qu’une question de chiffres. C’est une question d’attitude. Les Etats-Unis ne réalisent pas que le monde a changé », a-t-il dit au Financial Times.
Quant à eux, les Etats-Unis et l’UE ont dit que l’Inde et le Brésil n’ouvraient pas véritablement leurs marchés aux produits manufacturiers en échange de réductions des subventions agricoles américaines et des réductions de tarifs européens.
Selon le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, « Il est apparu de la discussion [sur les biens industriels] que nous ne pourrions pas distinguer de changement commercialement substantiel ou important dans les tarifs des économies émergentes. » Nath a unilatéralement déclaré que les pourparlers étaient terminés et a quitté sans autre consultation, a-t-il déclaré.
Nath a dit que les Etats-Unis offraient de plafonner leurs subventions agricoles à dix-sept milliards de dollars, une réduction de cinq milliards par rapport à son offre précédente, mais une somme qui demeure toujours beaucoup plus élevée que les douze milliards que demandent l’Inde et le Brésil.
En échange, l’EU et les Etats-Unis ont demandé un plafond de dix-huit pour cent pour les tarifs sur les biens industriels dans les pays en voie de développement. Le Brésil et l’Inde offrent trente pour cent et disent que toute diminution de ce plafond dépendra de la réduction des subventions américaines aux fermiers.
La représentante américaine au Commerce, Susan Schwab, a maintenu que les Etats-Unis et l’UE étaient prêts à faire des concessions, mais que la montée de la Chine en tant qu’exportateur manufacturier augmentait les inquiétudes au sein des pays en voie de développement quant à une augmentation de la concurrence.
Les pourparlers ont commencé « plutôt bien, l’UE et les Etats-Unis faisant des progrès sur les différends portant sur l’agriculture. Puis, nous sommes passés aux biens manufacturiers et soudainement, nous étions à différents niveaux ». Le « recul » apparent de l’Inde et du Brésil par rapport à des offres précédentes de diminutions de tarifs faites lors de sessions de négociations antérieures a pour cause « principalement leurs inquiétudes quant à la Chine ».
En regardant les différentes affirmations et négations, il est clair que les différents partis ont de bonnes raisons de ne pas voir le cycle de Doha se résoudre.
Depuis un certain temps, il est clair que les Etats-Unis sont plus intéressés à des accords bilatéraux et à des ententes de commerce régionales qu’à obtenir un accord général au sein de l’OMC.
En ce qui concerne l’Union européenne, les diminutions des tarifs sur les produits de l’agriculture sont une question politiquement explosive dans plusieurs pays, particulièrement en France.
Quant aux politiciens indiens, l’échec des pourparlers leur offre l’occasion d’essayer de gagner la faveur des agriculteurs en blâmant les Etats-Unis et l’UE.
De retour à New Delhi, Nath jeta le blâme sur les Etats-Unis, affirmant que le refus de réduire leurs subventions dans le domaine de l’agriculture était injuste pour les pays en développement. « Tous offrent quelque chose sauf un pays qui dit que “ rien de ce qui est offert ne m’intéresse”. »
Nath a déclaré qu’il était « très malheureux que les demandes des pays développés soient complètement irréalistes, injustes et inéquitables. Les pays développés doivent cesser de présenter faussement la situation, c’est ce qui est le plus important. »
Les commentaires de la presse indienne ont exprimé du ressentiment à l’égard des Etats-Unis et ont offert une perspective différente sur les enjeux traités par les médias occidentaux.
Un article du Hindu a soutenu que, bien que les marchandises industrielles aient toujours constitué une « pomme de discorde », ce fut l’ouverture des marchés de l’agriculture dans des pays comme l’Inde qui fut particulièrement sujet à controverse.
« La position du gouvernement indien a toujours été la même : les questions de l’agriculture de subsistance et la question plus générale de la sécurité alimentaire au pays ne peuvent jamais être sacrifiées sur l’autel du libre-échange. Plus particulièrement, on ne peut permettre aux produits de l’agriculture hautement subventionnés provenant des Etats-Unis et de l’Union européenne de submerger l’agriculture indienne. »
Un commentaire publié lundi dans le Business Standard déclara qu’il semblait que le « cycle de Doha était fichu, et c’était peut-être aussi bien ainsi ».
« Dès le départ, il était clair que cette ronde de négociations n’allait pas mener à grand-chose. La mondialisation et les disparités de revenus qui en ont résulté ont créé des pressions politiques internes qui font que de telles concessions sont extrêmement difficiles à faire. Par exemple, comment dites-vous à 300 millions de fermiers indiens, qui luttent déjà pour leur survie, que les importations moins chères sont bonnes pour eux ? »
L’article affirmait que la seule chose qui pourrait mettre fin à la querelle, qui se déroule depuis cinq ans, était le fait que les pouvoirs du président américain autorisés par le Congrès et lui permettant d’accélérer les négociations arrivent à échéance sans possibilité de renouvellement.
« Lorsque la puissance dominante mondiale ne voit aucun avantage important dans le multilatéralisme, elle sera nécessairement poussée à le faire échouer. Et le commerce n’en est que l’exemple le plus récent. Le processus est en cours depuis plusieurs années et a débuté lorsque les Nations unies se sont fait remettre à leur place. »
Les inquiétudes du Japon face à l’effondrement des pourparlers furent reflétées dans un commentaire publié dans le Yomiuri Shimbun. Celui-ci affirmait que l’échec de n’avoir pu surmonter l’impasse lors des discussions de Potsdam, ainsi que l’exclusion du Japon des pourparlers, constituaient « de sombres faits qui doivent être sérieusement pris en considération ».
Le journal déclara que toutes les puissances du G4 devaient être tenues responsables de l’échec des négociations et que le Japon devait maintenant faire de « douloureuses concessions » concernant l’ouverture de ses marchés afin d’adopter « un rôle majeur dans les négociations ».
Ces commentaires expriment la crainte sous-jacente existant dans les milieux dirigeants et commerciaux de nombreux pays que l’effondrement des négociations du cycle de Doha pourrait marquer la fin définitive du multilatéralisme tel qu’il a caractérisé les relations commerciales depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Comme David Woods, analyste commercial et ancien porte-parole de l’OMC, a déclaré à l’agence Reuters, un effondrement du cycle de Doha pourrait entraîner une intensification des conflits commerciaux entre les grandes puissances qui ont déjà formulé des plaintes à l’organisme mondial du commerce sur des produits tels que le maïs, le coton, les avions et les pièces automobiles. Le protectionnisme pourrait aussi commencer à s’intensifier, aggravant ainsi les tensions qui couvent déjà entre la Chine et ses partenaires commerciaux, tels que les Etats-Unis.
(World Socialist Web Site, par Nick Beams)
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