vendredi, septembre 15, 2006

Actualité - Cinq ans depuis le 11 septembre : un bilan politique - Troisième partie

L’état de la société américaine

Le 31 août, dans son discours au congrès national de la Légion américaine en Utah, le président Bush a déclaré que « Les gouvernements qui sont responsables envers leurs électeurs se concentrent à bâtir des routes et des écoles, pas des armes de destruction massive. » Par cette mesure, il n’existe pas un gouvernement moins responsable envers le peuple que celui des Etats-Unis ! La part du budget fédéral réservée à la construction de routes et à l’éducation ne constitue même pas 10 pour cent de celle réservée officiellement à l’armée.

Il n’existe pas de barrière infranchissable entre la politique étrangère et intérieure. Celles-ci expriment différemment les intérêts et les perspectives de l’élite dirigeante. La politique étrangère des Etats-Unis est l’expression, dans le domaine de la politique mondiale, des intérêts de classe de l’oligarchie financière et corporative qui dirige les Etats-Unis. On peut en effet établir un parallèle frappant entre l’indifférence démontrée par l’administration Bush pour les besoins vitaux du peuple irakien à la suite de l’invasion américaine et sa négligence brutale des citoyens de la Nouvelle-Orléans à la suite de l’ouragan Katrina. Le gouvernement n’a rien fait pendant qu’une ville entière était détruite, des milliers de personnes mourraient et des dizaines de milliers se retrouvaient sans logement.

L’élite dirigeante a fait la démonstration de sa cruauté aussi bien que son incompétence à la Nouvelle-Orléans comme à Bagdad.

Cet élément d’incompétence n’est pas un phénomène accidentel, mais reflète plutôt de véritables et profondes tendances de la décomposition et du déclin de toute la structure sociale des Etats-Unis. La richesse de sa couche dirigeante augmente exponentiellement et proportionnellement à la désintégration des infrastructures industrielles et sociales du pays.

L’élite dirigeante acquiert de plus en plus la physionomie sociale de la mafia. Une immense richesse personnelle est accumulée, non pas par le développement des forces productives, mais par leur destruction. L’époque des géants de l’industrie, dont la cruauté personnelle était au moins associée à la création de gigantesques industries, date déjà d’un passé lointain. Le directeur général de l’Amérique moderne est la personnification d’un système économique parasite dont le but principal est la gratification financière immédiate et l’enrichissement d’une petite élite privilégiée. La gestion d’entreprise consiste en grande partie à détourner les ressources de la compagnie des investissements productifs et à long terme, vers les comptes de banque des cadres et des gros actionnaires.

Le 15 juillet 2006, le Wall Street Journal a publié en première page une analyse de la réaction des grandes entreprises américaines à la tragédie du 11 septembre. Alors que des dizaines de millions d’Américains ordinaires pleuraient les morts de plus de 2 500 de leurs frères citoyens, de hauts cadres des plus grandes entreprises américaines se réjouissaient de l’occasion d’enrichissement inattendue que leur offrait la tragédie.

Les bourses furent fermées durant six jours à la suite de l’attaque sur le World Trade Center. Les prix des actions chutèrent de plus de 14 pour cent après la réouverture du marché le 17 septembre 2001. Les dirigeants de 186 grandes compagnies profitèrent de la chute abrupte et temporaire des valeurs d’actions en s’accordant de lucratives actions à bas prix. Quatre-vingt-onze compagnies, qui n’accordaient habituellement pas d’actions, le firent après le 17 septembre 2001, distribuant pour 325 millions $US d’actions.

Certaines de ces compagnies avaient perdu des employés dans la tragédie du 11 septembre. Par exemple, Teradyne Corporation a perdu un employé sur le vol 11 d’American Airlines. Mais le directeur général de la compagnie n’a pas laissé passer l’occasion de transformer la tragédie en un profit personnel inattendu. On lui accorda 600 000 options d’achat, ce qui lui permit d’acheter des actions à 24 pour cent moins cher qu’avant le 11 septembre.

Pour le directeur général de Teradyne et beaucoup d’autres cadres, le 11 septembre fut un coup de chance. T. Rowe Price accorda 280 000 options d’achat à deux hauts cadres. Le directeur général de Merrill Lynch reçut 753 770 options d’achat. On accorda au directeur général de Home Depot un million d’options d’achat. Et le Wall Street Journal de demander : « Les compagnies auraient-elles de façon inconvenante profité d’une tragédie nationale? » On pourrait dire cela, mais que dire de plus ?

Cette sombre et horrible histoire de cadres de Wall Street récoltant de riches récompenses de la mort et de la destruction représente justement la réalité sociale des Etats-Unis après le 11 septembre. Durant les cinq dernières années de la « guerre au terrorisme », les tendances de concentration de richesse et d’inégalités sociales qui existaient avant le 11 septembre se sont accélérées.

Un rapport sur l’inégalité de revenus publié récemment par les célèbres économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez documente l’accélération du rythme de la concentration de la richesse aux Etats-Unis. Venant appuyer les résultats de leur analyse révolutionnaire de 2003 sur l’inégalité de revenus aux Etats-Unis entre 1913 et 1998, les dernières données analysées par Piketty et Saez établissent que les gains des revenus du un pour cent le plus riche de la société américaine sont un multiple substantiel des augmentations réalisées par les 99 pour cent restants. De plus, le 0,1 pour cent le plus riche de la société a profité des plus grandes augmentations.

Selon un résumé des découvertes de Piketty-Saez préparé par le Centre d’étude des priorités politiques et budgétaires :

* Le revenu moyen après ajustement de l’inflation pour 99 pour cent des familles a augmenté de seulement 3 pour cent en 2003-2004. Cette augmentation du revenu moyen reflète en grande mesure les gains enregistrés par la couche supérieure de 20 pour cent des familles. En d’autres termes, la croissance du revenu de la couche inférieure de 80 pour cent des familles a soit stagnée, soit déclinée.

* 41 pour cent de l’augmentation du revenu moyen sont allés à 1 pour cent des familles — celles gagnant plus de 315 000 $ annuellement.

* La part des revenus avant impôts récolté par le 1 pour cent le plus riche a augmenté de 17,5 pour cent en 2003 à 19.5 pour cent en 2004. Une telle augmentation n’a eu lieu que cinq fois depuis 1913.

* La part du revenu total américain en 2004 qui est allé au 1 pour cent le plus riche était plus grande qu’à n’importe quel autre moment depuis 1929 — à l’exception des années 1999 et 2000, au sommet de la bulle boursière de la décennie précédente.

* Si l’on considère les 0,1 pour cent des familles les plus fortunées, la part du revenu national qu’ils accaparent a augmenté de 1,3 pour cent, passant de 7,9 pour cent à 9,2 pour cent entre 2003 et 2004. Ce qui signifie que plus de la moitié de tous les gains sur les revenus de la couche des 1 pour cent des familles les plus riches est allée aux familles américaines les plus riches, les 0,1 pour cent supérieurs, soit en d’autres mots, les couches supérieures de l’oligarchie sociale américaine.

Les chiffres pour 2003-2004 poursuivre une tendance vers un niveau toujours plus grand d’inégalité sociale qui à commencée au milieu des années 1970. Avant cela, à partir de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à la récession de 1973-74, la part du revenu national allant aux familles de la classe ouvrière a augmenté substantiellement. La tendance a été renversée par l’offensive de la grande entreprise contre la classe ouvrière qui a débuté sous l’administration Carter et a été accélérée par le président Reagan et ses successeurs.

Le niveau de concentration sans précédent des richesses aux Etats-Unis n’est pas qu’une simple petite tache sur une société autrement en santé. Bien qu’elle soit le résultat de la propriété privée des moyens de production et qu’elle soit incorporée dans les relations sociales du capitalisme, l’incontrôlable augmentation de la richesse des plus riches aux Etats-Unis a atteint une dimension telle qu’elle est devenue un facteur déterminant dans la direction de la vie politique et économique. Tous les aspects de la politique étrangère et domestique ainsi que la mise en place des priorités nationales est déterminé, directement et immédiatement, par la soif insatiable d’accumulation de richesse personnelle toujours plus grande de l’oligarchie dirigeante.

La mise en œuvre des priorités corporatives et la détermination des stratégies d’affaires sont déterminées quasi entièrement en fonction de l’impact anticipé sur le revenu personnel des dirigeants exécutifs des compagnies. Le but principal et ayant préséance sur presque tout le reste, est d’assurer le paiement de millions et de dizaines de millions de dollars à ses dirigeants exécutifs et ses principaux actionnaires.

L’être social de l’élite dirigeante dépend de l’exploitation et du pillage impitoyables de la société dans son ensemble. L’impact à plus long terme des décisions prises dans le cadre de la poursuite d’un niveau de richesse personnelle grotesque et vraiment obscène — le manque de fonds dans les entreprises elles-mêmes pour la recherche, le développement et le réapprovisionnement de leur base productive, la diversion de ressources qui devraient aller aux investissements productifs, mais vont vers des aventures fragiles, mal conçues et socialement destructives et, plus que tout, l’érosion de l’infrastructure sociale et l’appauvrissement de sections de plus en plus importantes de la société — ne préoccupe pas particulièrement l’élite dirigeante. Elle est aussi aveugle aux conséquences de ses actions que l’était l’aristocratie française qui s’amusait à la cour de Versailles.

En considérant les activités de l’oligarchie aux Etats-Unis, on peut mieux comprendre les processus sociaux qui ont créé, durant la Révolution française, un appui de masse enthousiaste pour la guillotine. De plus en plus, l’élite dirigeante fonctionne comme un élément étranger et toxique de la société, dont les demandes et les prérogatives sont incompatibles, et même en opposition, avec les besoins de la société dans son ensemble. Pour parler franchement, le riche est devenu un véritable problème social.

Tout l’ordre politique américain actuel n’est rien de plus que l’expression concentrée de cet environnement obsolète, réactionnaire et socialement abrutissant. Tout l’establishment politique vit dans un monde totalement isolé et qui ne peut satisfaire aux besoins et aux opinions de larges masses de la population.

Aucun des problèmes confrontant la société ne peut être discuté ouvertement. Les médias de masse, contrôlés par des sociétés géantes, cherchent à maintenir à tout prix la fiction usée que les Etats-Unis forment une société démocratique dans laquelle tous les citoyens bénéficient d’une chance égale.

Le mécanisme politique qui garantit une défense sans compromis des intérêts des riches, qui protège l’oligarchie financière et de la grande entreprise de toute opposition à ses prérogatives et qui laisse en fait les larges masses de la population travailleuse sans voix politique indépendante est le système bipartite des démocrates et des républicains.

Comment peut-on autrement expliquer le fait que l’importante opposition populaire à la guerre en Irak ne trouve aucune expression sérieuse au sein de l’establishment politique ? En fait, le plus l’opposition populaire à la guerre croit, le plus intransigeant l’establishment politique devient dans son insistance que la guerre doit continuer et doit être élargie.

Aucune lutte contre la guerre et pour l’adoption d’une politique sociale aux Etats-Unis n’est possible sans la destruction de la dictature bipartite et la création d’un mouvement politique de la classe ouvrière, réellement indépendant et socialiste.

(...)

Par ses actions, l’élite dirigeante fait la démonstration qu’aucun changement progressiste de la politique intérieure ou étrangère des Etats-Unis — c’est-à-dire toute mesure qui menacera la richesse et les intérêts mondiaux du capitalisme américain — n’est possible sans une lutte révolutionnaire.

En conclusion, voici une récapitulation aussi concise que possible de la situation qui prévaut cinq ans après le 11 septembre. La campagne de l’impérialisme américain, qui a employé le prétexte fourni par les événements de cette journée pour élargir son appétit pour l’hégémonie mondiale, a rencontré une résistance et des difficultés inattendues. L’échec à conquérir et pacifier l’Irak a miné l’image de l’invincibilité de l’armée américaine. Le projet hégémonique de l’impérialisme américain apparaît maintenant beaucoup plus problématique qu’il y a cinq ans.

Toutefois, l’élite dirigeante américaine considère que retraiter de ses aspirations mondiales n’est pas une option viable. La logique de l’impérialisme force les Etats-Unis à préparer de nouvelles interventions, de plus en plus violentes — premièrement contre l’Iran, plus tard contre la Chine et tout autre pays ou groupe de pays qui menacera la domination américaine.

Mais les « guerres du 21e siècle » promises par Bush doivent inévitablement approfondir les profondes contradictions sociales au sein des Etats-Unis et générer une opposition et une lutte populaires encore plus importantes. Le sentiment de mécontentement et de colère populaires, déjà perceptible, ne fera que s’élargir et s’intensifier. Les questions interreliées de la condition sociale et de l’inégalité, des droits démocratiques et de la guerre impérialiste deviendront de plus en plus unifiées dans la conscience populaire.

La période prolongée de stagnation politique arrive à sa fin. Une nouvelle période tumultueuse de luttes sociales et politiques au sein des Etats-Unis approche à grands pas. (...)

(World Socialist Web Site)

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