lundi, décembre 18, 2006

Actualité - L’impunité ne pourra se cacher parmi les cendres de Pinochet

Techniquement, Augusto Pinochet est mort sans châtiment. C’est ainsi qu’il l’avait lui-même prévu depuis la transition inédite qu’il avait organisée après 17 ans de pouvoir de facto parce que même s’il prétendait l’avoir légitimé aux urnes, aucune loi qui se respecte ne pouvait accepter une telle chose. Dans le Chili de Pinochet, les lois se sont faites et se sont appliquées à sa mesure. Et il s’est ainsi converti de dictateur en sénateur à vie.

La complicité de ces démocrates qui un jour l’ont appuyé au point de lui permettre, au nom de la lutte contre le communisme, de commettre les crimes les plus horribles et de submerger le pays dans une orgie de sang, l’a accompagné jusqu’au 10 décembre quand, sans lui concéder le bénéfice de funérailles d’État, on a permis, injuriant ses victimes, qu’il soit honoré comme ex chef de l’armée, d’une armée qu’il a dégradée et s’est dégradée en le suivant et qui n’a toujours pas demandé pardon pour sa participation dans ce putsch et pour ses crimes.

Le Chili, il n’y a pas de doute, est demeuré divisé depuis ce 11 septembre 1973. Et cette fracture devait être présente durant la session d’urgence que la présidente Michelle Bachelet a dû convoquer à midi ce dimanche 10 décembre pour décider que faire avec le cadavre de Pinochet.

La chef d’État, dans un geste indiscutablement courageux, aurait alors défendu la position de le priver de funérailles d’État. Son engagement avec le passé dont elle et sa famille ont été victimes, doit avoir primé dans la décision gouvernementale, mais n’a pu empêcher, comme le réclamaient les familles des tués, torturés et disparus, ceux qui ont été forcés à l’exil, que l’armée lui rende les honneurs. Des honneurs qui, s’il existait dans ce corps le plus élémentaire sens de la fierté, n’auraient pas dû avoir eu lieu.

Mario Benedetti, dans un poème écrit le jour du décès dans un hôpital militaire de Santiago, a appelé «à ne pas croire que ce mort est un mort quelconque». Et c’est certain, Pinochet non seulement fut un criminel fasciste mais également un vulgaire voleur que l’on jugeait aussi pour posséder des comptes secrets pleins à millions à la Banque Riggs, des États-Unis. De l’argent soustrait au trésor public et obtenu pour services rendus comme exécuteur du sale travail que l’empire souhaitait pour mettre fin à l’expérience de l’Unité populaire à la tête de laquelle le peuple avait placé un honnête homme, le socialiste Salvador Allende, que Pinochet a trahi jusqu’au dernier moment et auquel le peuple a rendu hommage dimanche.

Au moment de sa mort, la justice chilienne avait accumulé (sans en résoudre aucune) des centaines d’inculpation qui vont de l’assassinat de son compagnon d’armes, le général Carlos Prats et son épouse, celle de l’ex ministre Orlando Letelier en passant par les crimes de lèse humanité commis au centre de détention clandestin de Villa Grimaldi, ceux de la Caravane de la mort, les premiers du Stade national de Santiago et d’autres liés au trafic de drogue, blanchiment d’argent, fraude fiscale et falsification de documents.

Quatorze fois il a été démis de ses fonctions et il s’est vu forcé de démissionner de son siège de sénateur à vie mais n’a jamais été derrière les barreaux ni sent le poids d’une condamnation.

Techniquement, Augusto Pinochet est mort sans châtiment. Ses crimes ne pourront cependant être incinérés avec lui. L’impunité ne pourra se cacher parmi ses cendres, celles-là sont il a voulu qu’elles soient remises à sa famille pour éviter que sa tombe serve de lieu de ralliement pour exiger justice.

La mort de Pinochet a remis à flot les blessures non guéries de la société chilienne. Il ne pourra y avoir de réconciliation tandis que l’on ne juge ni ne châtie les coupables de cette horreur qui a commencé par l’incendie de La Moneda. Avec la mort de Pinochet, on ne peut enterrer le passé. La justice chilienne le sait. Les victimes, leurs parents et le monde l’attendent.

(Granma International - Nidia Diaz)

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