Actualité - L’armée libanaise assiège un camp de réfugiés palestiniens
Selon des responsables libanais, les combats ont commencé tôt dimanche après que la police ait effectué des descentes dans des lieux soupçonnés d’être des caches du Fatah al-Islam à Tripoli, à la recherche d’individus impliqués dans un vol de banque le jour précédent. Fatah al-Islam a répondu en s’emparant de postes de l’armée hors du camp Nahr al-Bared, ce qui a provoqué de violents échanges de tirs lorsque les troupes libanaises ont tenté de reprendre leurs positions. Les combats ont continué lundi, sauf pour un court cessez-le-feu.
L’armée libanaise a appelé des centaines de soldats en renforts, appuyés par des tanks, des véhicules blindés et de l’artillerie, et a ouvert le feu sur des bâtiments dans le camp. Un article du Deutsche Welle a rapporté que des navires de guerre patrouillent les eaux côtières environnantes pour complètement boucler le secteur. « C’est une véritable zone de guerre, il y a beaucoup de tirs de tank et ils viennent juste de détruire un bâtiment en entier avec des obus de 50 mm », a dit un passant au journal britannique, Guardian.
Les troupes libanaises n’avaient pas lundi entrepris de pénétrer dans le camp de réfugiés dont l’entrée est interdite selon un accord intervenu en 1969 entre pays arabes. Mais un réfugié, Sana Abou, a dit au réseau de télévision Al Jazeera : « Il y a beaucoup de blessés. Nous sommes assiégés. Il manque de pain, de médicaments et d’électricité. Il y a des enfants sous les ruines. »
Un autre résident a déclaré à la BBC par téléphone : « En réalité, la situation est si grave parce le camp ne fait qu’un kilomètre carré et environ 40 000 personnes vivent dans ce kilomètre. Beaucoup ont été tués ou blessés. »
Les combats furent les plus sanglants depuis qu’Israël, dans une guerre menée l’an dernier contre la milice chiite du Hezbollah avec le soutien des États-Unis, a rasé une bonne partie du Sud-Liban ainsi que des parties de Beyrouth et d’autres villes. Les combats sont les plus durs au Nord-Liban depuis la guerre civile confessionnelle de 1975-90.
Le gouvernement du premier ministre Fouad Siniora a immédiatement mis la violence sur le compte de la Syrie, déclarant que Damas créait délibérément l’instabilité au Liban pour miner les tentatives de l’ONU visant à établir une cour internationale pour juger les suspects de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafik al-Hariri. Siniora a déclaré dimanche : « Les coups qu’a portés Fatah al-Islam à l’armée libanaise sont un crime prémédité et une tentative dangereuse de déstabiliser [le Liban]. »
La Syrie a nié tout lien avec Fatah al-Islam et a fermé deux de ses frontières avec le Liban en réponse aux combats. Le dirigeant du groupe Shaker al-Abssi aurait été emprisonné par Damas en 2003 pour avoir comploté contre le gouvernement syrien. Il a fui au Liban l’an dernier après avoir obtenu sa libération et est actuellement recherché en Syrie pour d’autres accusations. Le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Moualem a dit aux médias : « Nos forces sont à leur recherche, même en collaboration avec l’Interpol. Nous rejetons cette organisation. Elle ne sert pas la cause palestinienne et ne cherche pas à libérer la Palestine. »
Fatah al-Islam embrasse l’extrémisme islamique et ne cache pas sa sympathie pour al-Qaïda, mais il nie publiquement entretenir des liens avec cette organisation. Abssi a été condamné en Jordanie, en même temps que l’ancien dirigeant irakien d’al-Qaïda Abou Moussab al-Zarqaoui, pour le meurtre du diplomate américain Lawrence Foley en 2002. Les deux furent condamnés à mort. En mars, Abssi a déclaré au New York Times : « C’est Oussama Ben Laden qui déclare les fatwas [avis juridiques]. Si ses fatwas respectent la Sunna [loi islamique], nous allons les mettre en oeuvre. » Le groupe serait constitué d’environ 150 à 200 combattants.
Le gouvernement libanais a blâmé Fatah al-Islam pour avoir perpétré deux attentats contre des autobus en février, dans une zone chrétienne à l’extérieur de Beyrouth. En réaction, l’armée avait renforcé sa présence autour du camp Nahr al-Bared et avait déclenché, le mois dernier, une opération de répression contre les extrémistes islamiques, exacerbant ainsi les tensions. Selon le magazine Time, jusqu’à 200 personnes de Tripoli et du nord du Liban auraient été détenues par les forces de sécurité, sous l’accusation d’être liées à al-Qaïda, de construire des armes et de planifier des attaques.
Il est tout à fait possible que certaines sections du gouvernement Siniora aient délibérément provoqué la présente confrontation et accusé la Syrie afin de rediriger l’attention internationale sur le Liban. La semaine dernière, Siniora a demandé à l’ONU de préparer le procès Hariri, malgré le fait que le parlement libanais n’ait pas accepté cette mesure. Au même moment, les affrontements permettent à l’armée d’affaiblir davantage Fatah al-Islam et d’accentuer la sécurité autour des camps palestiniens à travers le pays.
Le Christian Science Monitor a cité le ministre antisyrien des Télécommunications, Marwan Hamade : « Nous les avons enfermés à l’intérieur de Nahr al-Bared et nous allons utiliser des moyens populaires et politiques ainsi que l’armée pour nous débarrasser de Fatah al-Islam. »
Selon le Times de Londres, des dizaines de partisans de droite du Mouvement de l’avenir dirigé par Saad Hariri, le fils et héritier politique de Rafik Hariri, sont rassemblés à l’extérieur du camp de réfugiés. Walid Hussein a déclaré au journal : « Nous sommes ici pour aider l’armée. Nous leur avons apporté des munitions et de l’eau. » D’autres ont incité l’armée à démolir le camp.
« Nous aimerions que le gouvernement détruise ce camp au complet et tous les autres. Les Palestiniens ne créent que des ennuis », a déclaré Ahmad al-Marooq au New York Times.
Il existe douze camps de réfugiés palestiniens au Liban, dans lesquels sont entassées environ 350 000 personnes. Les réfugiés, qui furent chassés d’Israël à la fin des années 1940, ainsi que leurs descendants, vivent dans une misère terrible, n’ayant pas les pleins droits pour travailler et manquant de services de base. L’ancien ambassadeur à l’ONU du Liban, Khalil Makkawi, a déclaré à CNN : « La situation parle d’elle-même. Ces camps sont devenus des terreaux fertiles pour les fondamentalistes et les extrémistes. » Bien que certaines sections du gouvernement Siniora aimeraient assurément prendre directement contrôle des camps, un geste aussi provocateur replongerait probablement le pays dans la guerre civile.
Le lien américain
L’administration Bush a immédiatement soutenu le gouvernement Siniora. Le porte-parole du département d’Etat américain, Sean McCormack, a déclaré que l’armée libanaise réagissait de « manière légitime » contre « des provocations de violents extrémistes ». Il s’est toutefois empêché de blâmer directement la Syrie. Tony Fratto, porte-parole à la Maison-Blanche, a appelé à l’arrêt des affrontements, affirmant : « Nous croyons que toutes les parties devraient adopter une position moins violente. »
À première vue, la déclaration des Etats-Unis semble inhabituellement modérée. Washington avait antérieurement accusé la Syrie et l’Iran d’appuyer le Hezbollah et d’autres groupes « terroristes » au Liban. L’administration a justifié son occupation néocoloniale de l’Irak et de l’Afghanistan au nom de sa « guerre contre le terrorisme » globale contre Oussama ben Laden et al-Qaïda. On ne peut pas, bien sûr, en faire dire beaucoup à une brève déclaration officielle, qui peut être motivée par bien des considérations politiques. Mais dans tout le débat médiatique pour établir qui soutient le Fatah al-Islam, il n’est fait aucune mention des liens avec les Etats-Unis soulevés par le vétéran journaliste Seymour Hersh dans son long article intitulé « The Redirection » publié dans le New Yorker en février.
Hersh a donné un compte rendu détaillé du virage dans la stratégie de l’administration Bush au Moyen-Orient suite aux élections de mi-mandat au congrès en novembre dernier. Dans un geste visant à intensifier la pression sur l’Iran, Washington s’est engagé dans une rafale de gestes diplomatiques visant à forger une alliance entre les soi-disant Etats Sunnites, incluant l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Jordanie, pour isoler le régime chiite à Téhéran. L’appui au gouvernement de Siniora au Liban, qui a été sérieusement affaibli par l’invasion ratée d’Israël et l’appui massif pour le Hezbollah, était un élément important de la stratégie américaine.
Cependant, comme le soulignait Hersh, la nouvelle stratégie américaine n’était pas limitée à la diplomatie, mais incluait un appui secret aux groupes sunnites extrémistes opposés au Hezbollah chiite. La monarchie saoudienne était également étroitement impliquée en fournissant des fonds en passant par ses alliés sunnites au Liban. Hesrh expliquait : « Les officiels américains, européens et arabes à qui j’ai parlé, m’ont dit que le gouvernement de Siniora et ses alliés permettaient à une partie de l’aide de se retrouver entre les mains de groupes radicaux sunnites qui font apparition dans le nord du Liban, dans la vallée de Bekaa, et autour des camps palestiniens dans le sud. Ces groupes, bien que petits, sont vus comme des contrepoids au Hezbollah; au même moment, ils sont liés idéologiquement avec al-Qaïda. »
L’ancien officier du renseignement britannique, Alastair Crooke, soulignait en particulier l’apparition du Fatha al-Islam au camp de Nahr al-Bared l’an dernier. « Le gouvernement libanais donne de l’espace pour permettre à ces gens d’y venir. Ça pourrait être très dangereux… On a rapporté que dans les 24 heures [de leur formation], des gens qui disaient représenter les intérêts du gouvernement libanais leur ont offert des armes et de l’argent – pour s’en prendre au Hezbollah, peut-on supposer », a t-il expliqué à Hersh.
Il n’est pas possible de vérifier si une telle offre a été faite. Mais on ne peut pas exclure que l’administration Bush, en collaboration avec le gouvernement Siniora et la monarchie saoudienne, ait cherché à manipuler une milice liée à al-Qaïda pour ses propres fins politiques.
Après tout, l’origine d’al-Qaïda se trouve dans la grande guerre sainte de la CIA contre le régime pro-soviétique d’Afghanistan dans les années 1980. Il n’est également pas impossible que l’un des joueurs impliqués ait décidé que le danger d’un autre « revirement » était trop élevé et se soit finalement retourné contre le groupe.
Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis et leurs alliés au Moyen-Orient sont responsables de la déstabilisation du Liban et ont directement ou indirectement contribué à la dernière flambée de violence sanglante au camp de réfugiés de Nahr al-Bared.
(World Socialist Web Site, par Peter Symonds)
Libellés : Le Liban résiste à l'agresseur sioniste
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