Actualité - La stratégie médiatique états-unienne 1945-2005
Dansleur bataille idéologique pour la conquête de l’imaginaire des peuples, gage essentiel de la pérennité d’une nation, les États-Unis développent un argumentaire reposant sur une double articulation, un argument intellectuel, le principe de la liberté de la circulation de l’information et des ressources, un argument pratique, le fait que les États-Unis soient la seule grande démocratie au monde à ne disposer ni d’un ministère de la culture, ni d’un ministère de la communication, preuve irréfutable, selon eux, d’un régime de liberté.
Présenté comme l’antidote absolu au fascisme et au totalitarisme, le principe de la liberté de l’information, constitue un des grands dogmes de la politique états-unienne de l’après-guerre, son principal thème de propagande. C’est une formidable machine de guerre qui répond à un double objectif. Briser, d’une part, le cartel européen de l’information, principalement le monopole britannique des câbles transocéaniques qui assure —via Cable and Wireless— la cohésion de l’Empire et confère une position de prépondérance à l’agence britannique d’information Reuter’s, accessoirement la prééminence de l’Agence française Havas, la future Agence France Presse (AFP) en Amérique latine, zone d’intérêt prioritaire des États-Unis.
Neutraliser, d’autre part, toute critique par l’élimination de toute concurrence européenne qui pourrait présenter les États-Unis en termes peu flatteurs aux lecteurs, l’image dévalorisée de l’Américain cow-boy mâcheur de chewing gum, ou plus grave la ségrégation raciale et les lynchages du Klu Klux Klan ou encore le grand banditisme de l’époque de la prohibition. Sous une liberté apparente perçait déjà le contrôle. Toute une littérature va théoriser ce principe de liberté de l’information et donner un habillage moral à une politique d’expansion [1].
William BentonL’un des plus éloquents théoriciens en la matière sera William Benton, ancien sous-secrétaire d’État du président démocrate Franklin Roosevelt, promoteur du « New Deal ». Benton qui présidera la prestigieuse publication Encyclopaedia Britannica, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, invitera les États-Unis à « faire tout ce qui est en leur pouvoir » pour briser les barrières artificielles qui s’opposent à l’expansion des agences américaines privées, des magazines, des films et autres moyens de communication.
La liberté de la presse et la liberté de l’échange de l’information font partie intégrante de la politique étrangère états-unienne, soutient-il estimant que le contrôle mondial des communications favorise les débouchés d’exportation [2]. Sous les grands principes percent déjà des objectifs matériels.
Quant à l’argument pratique, l’absence de structure ad hoc de propagande, le fait est fondé, mais doit être nuancé. Certes il n’y a ni ministère de la culture ni ministère de la communication dans le gouvernement des États-Unis, mais, dans cette bataille idéologique, les États-Unis pratiquent, non l’attaque frontale mais l’entrisme, une stratégie de contournement périphérique, une diplomatie multilatérale instrumentalisant les organisations internationales à vocation universelle ou spécifique, doublée d’une diplomatie parallèle de ses agences spécialisées : la CIA (agence centrale du renseignement) et les Fondations philanthropiques pour le blanchiment des fonds [3].
Que ce soit l’ONU, L’UNESCO, le Conseil économique et social de l’ONU ou l’Organisation interaméricaine, toutes auront inscrit dans leur charte « le principe de la liberté de l’information ». Toutes, peu ou prou, auront fait office de tribune pour la propagation de la doctrine états-unienne de la libre circulation de l’information. Qu’on en juge. La chronologie suffit à fonder cette affirmation. En septembre 1944, le Congrès des États-Unis officialise cette politique par une motion proclamant « le droit mondial à l’information pour les agences qui recueillent et font circuler l’information, sans discrimination », un droit qui sera protégé par le Droit international public.
Cinq mois après la motion du Congrès, la Conférence interaméricaine de Mexico adopte à son tour une résolution sur le libre accès à l’information (février 1945), suivie quatre mois plus tard de la Conférence de San Francisco portant création de l’ONU (juin 1945), puis du Conseil économique et social de l’ONU qui inclue la résolution dans sa charte en février 1946. Puis, le principe de la liberté de l’information reçoit une consécration officielle lors de la première session de la conférence générale de l’UNESCO à Paris (novembre 1946), suivi un mois plus tard par l’Assemblée générale de l’ONU qui proclame « La liberté de l’information, droit humain fondamental, impliquant le droit de rassembler, de transmettre et de publier des nouvelles partout sans entraves » (14 décembre 1946). Le temps n’est pas encore au journalisme embedded, ombiliqué à l’armée, imbriqué aux sources de l’administration, pratiqué lors de l’invasion anglo-saxonne de l’Irak en 2003, pour des raisons de « sécurité nationale ».
En deux ans, la structure de la diplomatie multilatérale de l’après-guerre est verrouillée par ce principe. Les États-Unis réussissent à le faire figurer dans la charte des cinq grandes organisations internationales (ONU, UNESCO, ECOSOC (Conseil Economique et Social), Organisation interaméricaine et l’Assemblée générale de l’ONU). L’ONU compte à l’époque cinquante cinq membres, le quart du nombre actuel avec une majorité automatique pro-occidentale composée de pays européens et latino-américains sous la férule états-unienne. Tous les grands États du tiers-monde en sont absents. La Chine continentale est boycottée au profit de Taiwan, l’Inde et le Pakistan, les deux nouvelles puissance nucléaires d’Asie sont sous domination anglaise de même que le Nigeria et l’Afrique du Sud, les deux géants de l’Afrique, nouveaux candidats au titre de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, tandis que le Maghreb et l’Afrique occidentale se trouvent, eux, sous contrôle français.
Les États-Unis, qui disposent pendant une quinzaine d’années d’une majorité automatique, ne la dénigrent que lorsqu’elle rejoint le camp adverse, le bloc neutraliste soutenu par le camp soviétique. Elle refuse en conséquence de verser sa cotisation pendant une dizaine d’années.
Le déploiement sur le théâtre euro-méditerranéen
Ce corpus doctrinal est animé par le Congrès pour la liberté et la culture doublé sur le terrain d’une structure d’appoint de propagation thématique en application d’une stratégie de maillage planétaire dite de « global connexion » constitué d’un réseau enchevêtré de radios profanes, de radios religieuses et de publications périodiques animées par des prestigieuses personnalités sur les principaux théâtres de la confrontation Est-Ouest, avec un ciblage particulier sur l’ensemble arabe
Le Congrès pour la liberté et la culture (1950-1967)
Fer de lance de la guerre idéologique anti-soviétique, le Congrès est constitué d’un rassemblement hétéroclite de transfuges du bloc soviétique, d’intellectuels occidentaux, anciens compagnons de route du Parti communiste ou de simples intellectuels épris de reconnaissance sociale ou de bien être matériel [4]. Sa propagande vise tout autant à dénoncer le matérialisme marxiste qu’à sensibiliser les esprits, sur le plan du conflit du Proche-Orient, à un arrimage d’Israël au système d’alliance du monde occidental.
Ponctionnant 5 % du budget du Plan Marshall, soit près de 200 millions de dollars par an, le Congrès finance la publication de dizaines d’ouvrages au succès retentissant notamment New Class, une étude sur l’oligarchie yougoslave réalisée par le dissident anti-Tito et Docteur Jivago de l’écrivain russe Boris Pasternak ou encore L’Art de la Conjecture du royaliste français Bertrand de Jouvenel.
Parmi les principaux animateurs du Congrès figuraient ainsi Sol Lovitas, ancien collaborateur de Léon Trotski, le fondateur de l’Armée Rouge, désormais recyclé à la tête de l’influente revue Partisan Review, Nicolas Nabokov, fils du musicien Vladimir Nabokov ainsi que de l’écrivain Arthur Koestler, dont la CIA assure la promotion de son livre-culte Le Zéro et l’Infini achetant en sous main plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires pour en faire un succès de librairie avec les retombées éditoriales inhérentes. Ce qui fait la gloire de cet ancien communiste hongrois, ancien kibboutznik israélien qui se suicide à Londres, point ultime de son parcours cahoteux.
Le Congrès complète son travail de pénétration par un maillage éditorial sur tous les continents, finançant l’édition de quinze publications aux avants postes de la Guerre froide. En France, le Congrès bénéficie notamment du relais de deux institutions : Force ouvrière (FO), la formation syndicale dissidente de la CGT (Confédération générale du travail), la principale centrale ouvrière communiste française de l’époque, et l’équipe du journal conservateur Le Figaro autour de Pierre Brisson, ami du sociologue Raymond Aron [5] et de Nicolas Nabokov ainsi que du concours d’André Malraux, ancien ministre de la culture de Charles de Gaulle.
Annie Kriegel, éditorialiste du Figaro, passe ainsi de l’ultra-stalinisme à l’ultra-sionisme sans le moindre sas de décompression, trouvant dans ce quotidien une tribune appropriée à ses nouvelles diatribes anticommunistes, à la mesure des panégyriques passés en faveur de la « Patrie des travailleurs ». Épousant un cheminement intellectuel analogue, son neveu par alliance, Alexandre Adler, lui succède trente ans plus tard dans cette même fonction tribunicienne au sein de ce même journal, fustigeant à longueur de colonnes le nouvel ennemi public universel le « fascisme vert », que son collègue éditorialiste Yvan Rioufol désigne par le terme stigmatisant de « nazislamisme » [6]
Outre Annie Kriegel, deux autres personnalités se sont distinguées dans ce dispositif pendant un demi-siècle par leur rôle prescripteur de l’opinion occidentale particulièrement à l’égard du conflit israélo-arabe et de la question palestinienne : Walter Laqueur et Claire Sterling [7]. Natif de Pologne, en 1921 à Breslau (Wroclaw actuellement), naturalisé anglais, collaborateur de la revue Commentary et de The Public Interest fondé par son ami Irwing Kristoll, père de William Kristoll junior, un des théoriciens du néo-conservatisme de l’administration George Bush Jr. lors de la guerre d’Irak (2003) et de « la destinée manifeste des Etats-Unis », Walter Laqueur représente à Tel-Aviv pendant toute la durée des 17 ans de son fonctionnement le Congrès pour la liberté et la culture. Il contribue largement à cimenter un partenariat stratégique entre Israël et le « Monde libre », notamment les États-Unis et l’Europe occidentale à travers une série d’ouvrages répercutés par l’ensemble du réseau des quinze publications du Congrès sur tous les continents. En Europe, notamment à Berlin et Vienne, les deux lieux de transit privilégiés du monde interlope des transfuges, des exfiltrés et des agents double, à Rome, siège du parti communiste le plus important d’Europe occidentale, le Parti communiste italien animé par des dirigeants de légende tels Palmiro Togliatti et Enrico Berlinguer, ainsi qu’à Beyrouth, traditionnelle caisse de résonance des turbulences arabes, via une publication en langue arabe Al-Hiwar (Le Dialogue) qui assure la propagation des thèses du Congrès à destination de l’ensemble arabo-musulman.
Auteur de plusieurs ouvrages notamment La Génération Exodus , Mourir pour Jérusalem, « La Tentation neutraliste, Walter Laqueur co-préside, à 85 ans, le Conseil de la recherche internationale rattaché au CSIS de New York [8]. Ses plus récents écrits portent sur la nouvelle thématique idéologique de ses amis néo-conservateurs : Une Guerre sans fin, le terrorisme au 21ème siècle, ainsi qu’un ouvrage dont l’ambition cachée est de faire le tour de la question sur l’un de sujets d’actualité les plus violemment controversés de l’époque contemporaine : Les Voix de la terreur : manifestes, écrits, Al-Qaïda, Hamas et autres terroristes à travers le monde, à travers les âges.
Claire Sterling, (1918-1995), trône, elle, pendant un demi-siècle sur le Reader’s Digest, l’un des principaux vecteurs souterrains de la guerre culturelle menée par les services états-uniens. Grande théoricienne de la criminalité transnationale, elle assume une fonction de diversion, pratiquant avec un art consommé la « technique de l’enfumage », poussant des contre-feux médiatiques pour détourner l’attention sur les propres turpitudes de son camp.
Elle s’applique ainsi à dénoncer régulièrement la pieuvre mafieuse [9], pour mieux occulter l’une des plus grande entreprises criminelles du monde, le système Clearstream, système de compensation bancaire du Luxembourg chargé du blanchissement des opérations douteuses des grandes démocraties occidentales [10] ou encore pour occulter l’instrumentalisation de la commercialisation de la drogue pour le financement des opérations clandestines des services états-uniens en Amérique latine.
Diffusé en dix sept langues dans 160 pays, le Reader’s Digest popularise les analyses de Claire Sterling autoproclamée grande spécialiste du terrorisme moyen-oriental dans son ouvrage The terror network (Le Réseau terroriste) », exerçant de ce fait une sorte de monopole de l’intimidation par l’expertise [11]. Sous couvert de professionnalisme, Claire Sterling et Walter Laqueur auront alimenté régulièrement les revues spécialisées subventionnées par la CIA de chroniques dont le contenu est puisé directement auprès de leur bailleur de fonds.
Préfiguration de l’endogamie contemporaine entre pouvoir politique et pouvoir médiatique, le Congrès pour la Liberté et la Culture pratique à grande échelle l’autolégitimation d’une pensée homogénéisée où l’expert ne se reconnaît pas à la qualité de ses recherches mais à sa fréquentation assidue des forums médiatiques ; où l’intellectuel décrété comme tel mène une réflexion conforme à la politique éditoriale des médias dont il est l’invité précisément afin d’accréditer la pensée qu’ils propagent.
À coups de manipulation, de falsifications, de prévarications, une large fraction de l’élite intellectuelle occidentale aura ainsi sombré dans les travers qu’elle dénonce aujourd’hui comme étant l’une des plaies du tiers-monde. De l’autopromotion des experts à l’autosuggestion des thèmes, à l’intimidation par une prétendue expertise, « l’Amérique », héraut du « Monde libre », aura utilisé avec les complicités européennes et la vénalité de certains leaders d’opinion contre le totalitarisme, les méthodes mêmes du totalitarisme.
Les radios profanes : un tir de saturation
Le dispositif médiatique mis en place pour mener de pair le combat contre le communisme, sur le plan international, et le combat contre l’athéisme, sur le plan arabo-musulman, répond à un objectif qui relève dans la terminologie militaire du « tir de saturation tous azimuths ». Si sur le plan idéologique, Radio Free Europe est au premier rang des instruments de la guerre psychologique contre le bloc soviétique en sa qualité de principal retransmetteur de la production intellectuelle du Congrès pour la liberté et la culture », Voice of America est, quant à elle, le vecteur d’accompagnement de la diplomatie états-unienne, alors que les radios religieuses font office de levier de sensibilisation des groupes ethnico-communautaires de confession chrétienne dans la zone euro-méditerranéenne.
Par l’entremise de Radio Free Europe, l’es États-Unis assurent une pleine couverture de l’Europe orientale et des républiques musulmanes d’Asie centrale, servant d’amplificateur aux débats et grandes manifestations artistiques ou culturelles, les éditoriaux et analyses confectionnés dans les publications satellites. Soutenue intellectuellement et matériellement par la puissante Freedom House [12] , bras armé de la propagande gouvernementale et de la droite conservatrice internationale, Radio Free Europe Radio liberty Inc, basée à Prague (République tchèque), dipose pendant 40 ans de cinq sites d’émission en Europe, dont trois en Allemagne et de 54 fréquences. Radio Free Europe a un prolongement sur le continent latino-américain Radio TV Marti (anti-cubaine) et en Asie, Radio Free Asia.
Avec Voice of America (VOA), ces trois vecteurs relèvent au sein de l’administration américaine de l’International Broadcasting Bureau (IBB), disposant de vingt sites de retransmission dans le monde dont trois dans les pays arabes (Maroc, Koweït, Émirats Arabes Unis) ainsi qu’en Albanie, en Grèce, au Sri Lanka, en Allemagne, au Portugal et en Espagne.
Voice of America est le premier vecteur trans-régional en termes de puissance. Il dispose pour le secteur Méditerranée-Océan Indien de 24 émetteurs totalisant une puissance de feu inégalée de 9.100 KW et de 83 fréquences réparties sur trois sites d’émission. Deux d’entre eux (Rhodes et Kavala (nord de la Grèce) sont destinées au secteur Moyen-Orient/Asie Centrale, le troisième, Tanger, pour le Maghreb, les Balkans et la Méditerranée occidentale. Ce dispositif est complété par deux retransmetteurs installés dans deux principautés pétrolières, le Koweit et les Émirats Arabes Unis. À cela s’ajoutent les nouveaux vecteurs crées à l’occasion de la Deuxième Guerre contre l’Irak en 2005, Radio Sawa (Ensemble), la chaine de télévision Hurra (Libre). Toujours en Méditerranée, les États-Unis aménagent, tant en Italie qu’en Grèce, deux centres régionaux radiophoniques pour la production des programmes à l’intention des troupes stationnées dans le cadre de l’OTAN, à Héraklion (Grèce), siège de l’Armed Forces Radio and TV Service Air Force European Broadcasting Squadron et à Vicenza (Italie), siège du Southern European Broadcasting Service.
Le Congrès fonctionne pendant dix sept ans jusqu’à la Troisième Guerre israélo-arabe de juin 1967. Il passe ensuite la main aux prédicateurs électroniques dont le zèle prosélyte va se conjuguer au lobbying de la politique sioniste des organisations juives états-uniennes pour conduire Washington à s’engager dans un soutien sans faille à Israël. États-uniens et Israéliens s’appliquent alors à promouvoir une « idéologie des Droits de l’Homme », selon l’expression de l’historien Peter Novick [13], comme arme de combat contre le totalitarisme communiste, dans un premier temps, contre le totalitarisme islamique, dans un deuxième temps, après l’effondrement du bloc soviétique.
Le prosélytisme religieux : les prédicateurs électroniques
Aux radios profanes se sont superposées une vingtaine de grandes corporations radiophoniques religieuses disposant de moyens financiers et techniques sans équivalent dans les deux tiers des pays de la planète, dont les motivations ne paraissent pas toujours répondre à des considérations exclusivement philanthropiques.
S’appliquant à porter quotidiennement la « Voix du Seigneur » à travers le monde dans l’espoir problématique de gagner de nouvelles ouailles à la cause de leur propre dieu, ces prédicateurs électroniques nourrissent une prédilection particulière pour les foyers de tension (Sud du Liban, Sud du Soudan) et les minorités ethnico-religieuses des pays fragilisés par les dissensions intestines (Arméniens, Kurdes, Berbères) et, depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, pour le nord kurdophone irakien. Tel est le cas de IBRA Radio (International Broadcasting Radio) qui anime au Moyen-Orient vers le Sud du Liban et la zone frontalière libano-israélienne une antenne locale onde courte pour les émissions de la station High Adventure alors que le Sud du Soudan, peuplé de chrétiens et d’animistes en rébellion contre le gouvernement islamique de Khartoum, est alimenté par les programmes de “Radio Elwa”, dirigée depuis Monrovia (Libéria) par des missionnaires anglo-saxons.
Au premier rang de ces corporations radiophoniques se place Trans World Radio (TWR), suivie d’Adventiste World Radio (AWR), FEBA Radio, IBRA Radio, WYFR-Family Radio, Monitor Radio et Nexus IBD. À l’exception de Radio Vatican (1555 KW, 36 fréquences, 33 langues) et d’une minuscule radio orthodoxe, Radio Trans Europe, toutes les grandes radios religieuses sont d’inspiration anglo-saxonne.
Toutefois par son ampleur et ses capacités, Trans World radio (TWR) constitue la première radio planétaire transfrontière de surcroît religieuse. Pionnière en la matière, TWR assure des émissions en 100 langues dans des idiomes négligés par les majors occidentales, dont elle apparaît dans les nouvelles terres de mission, les zones d’évangélisation d’Afrique et d’Asie, comme un utile instrument d’appoint. Disposant de neuf relais terrestres dont cinq en Europe (Albanie, Monaco, Pays-Bas, Chypre et Russie) deux en Asie (Ile de Guam et Sri Lanka) un en Afrique (Swaziland) et un en Amérique latine (Uruguay), TWR gère les émissions des trois sites méditerranéens (Albanie, Monaco et Chypre) depuis Vienne (Autriche) et aligne, rien que pour l’Europe, une puissance substantielle (1500 KW, 14 fréquences et des émissions en 30 langues), supérieure à bon nombre de radios occidentales. Vers la rive sud de la Méditerranée, TWR assure des émissions en 21 langues dont le Kurde, le Berbère, ainsi que les langues des pays méditerranéens. À Chypre, à la suite des programmes de RMC Moyen-Orient et à partir des antennes de la radio française [14], TWR assure des émissions religieuses nocturnes en trois langues (Arabe, Farsi, Arménien) sur ondes moyennes en direction des principaux pays musulmans. À travers les sites de Remoules (Sud de la France) et de Cap Greco (Chypre), grâce à sa coopération avec RMC France et RMC-MO, TWR jouit d’un avantage incomparable celui d’émettre en ondes moyennes lui assurant un bon confort d’écoute dans une zone qui abrite le centre historique de l’Islam et les principales réserves énergétiques mondiales. Deux autres radios religieuses participent de ce verrouillage médiatique : Adventist World Radio (AWR) et FEBA (Far East Broadcasting Association-Missionary) : Adventist World Radio dispose, pour sa part, pour l’Europe de 16 fréquences pour des émissions en 17 langues dont l’arabe (5 heures), l’anglais (6 heures dont 3 vers le Moyen-Orient), le français (5 heures en direction du Maghreb et de l’Afrique), le Farsi (2H), l’Urdu et le Hindi (2 heures chacun).
À titre indicatif, les radios religieuses anglo-saxonnes assurent 9 000 heures de programmes par mois, soit près de 10 fois plus que Radio Le Caire, le principal vecteur arabe du plus grand pays arabe, l’Égypte, qui abrite la plus forte densité de population (75 millions). En comparaison, The Friend of Israël Gospel Ministry, Église baptiste états-unienne, diffuse des émissions en faveur d’Israël sur 700 stations états-uniennes et publie la revue Israël My Glory dans 151 pays, collectant, rien qu’en 2005, des dons d’un montant de 8,5 millions de dollars en faveur de l’État hébreu [15].
À journées faites, sans interruption, et rien qu’en Méditerranée, pas moins de 2500 KW diffusent des programmes sur une vingtaine de fréquences dans toutes les langues du puzzle humain de la sphère arabo-musulmane, sans parler naturellement de Radio Vatican, la radio officielle de la chrétienté catholique. Relayant en programmes religieux les émissions profanes des vecteurs internationaux, les médias des grandes corporations religieuses optimisent ondes et fréquences saturant comme pour l’aseptiser de toute pollution anti-occidentale l’espace hertzien au point de donner l’impression à un passager d’un vol de nuit d’être propulsé aux confins du Paradis, bercé par Le Cantique des cantiques. Longtemps avant l’émergence des fedayins palestiniens dans le paysage arabe, bien longtemps avant Oussama Ben Laden, bien des décennies avant la désignation du « péril islamiste » comme la menace majeure du XXIe siècle, quotidiennement, invariablement, inlassablement, telle une symphonie pastorale s’élançant des îles de la Méditerranée vers l’espace arabo-musulman, les incantations divines de la liturgie occidentale avec une méticulosité monacale.
En tout temps, en tout lieu, en toute langue, l’aspersion est continue, l’intensité diluvienne. Sans exception, toutes les îles au nom si évocateur de paradisiaques vacances : Chypre, Malte, Rhodes, la Crête, la Sicile, toutes sont mobilisées pour prêcher la bonne parole. Toutes y compris le promontoire de Gibraltar et la sérénissime enclave de Monaco. De quoi combler d’aise le souverain marocain très sourcilleux sur les croyances de ses fidèles sujets, justifier les imprécations des Algériens contre le parti de l’étranger ou celles des théologiens de Qom contre le « Grand Satan états-unien » ou celle des islamistes salafistes sur « une nouvelle croisade occidentale ». Ainsi se nourrit l’imaginaire collectif des populations exacerbées.
Notes
[1] Parmi les ouvrages préconisant la liberté d’information, citons Barriers Down (Abattre les frontières) de Kent Cooper, directeur exécutif de l’agence états-unienne Associated Press, Farrar & Rinehart éd., 1942, ainsi que la contribution de James Lawrence Fly, président de la Federal Communications Commission (équivalent états-unien du CSA français) « A free flow of news must link the nations », Free World, Volume VIII, Août 1944. Bibliothèque du Congrès.
[2] « La propagande culturelle au service des Affaires », Herbert Schiller, professeur à l’Université de Californie à San Diégo, in Manière de voir n°47 (Cinquante années qui ont changé notre Monde), avril -mai 2004.
[3] « La Fondation Ford, paravent philanthropique de la CIA » et « Pourquoi la Fondation Ford subventionne la contestation » par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 5 et 19 avril 2004.
[4] « Quand la CIA finançait les intellectuels européens » par Denis Boneau, Réseau Voltaire, 27 novembre 2003.
[5] « Raymond Aron, avocat de l’atlantisme » par Denis Boneau, Réseau Voltaire, 21 octobre 2004.
[6] « Choc des civilisations : la vieille histoire du « nouveau totalitarisme » » par Cédric Housez, Réseau Voltaire, 19 septembre 2006.
[7] - Manufacturing Consent : The Political Economy of the Mass Media par Noam Chomsky, linguiste et philosophe, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Edward S. Herman. Version française : La Fabrique de l’Opinion publique, Le serpent à Plumes éd., 2003.
[8] « CSIS, les croisés du pétrole », Réseau Voltaire, 6 juillet 2004.
[9] La Pieuvre. La mafia à la conquète du monde, 1945-1989 et Pax mafiosa, les multinationales du crime vont-elles s’emparer du pouvoir mondial ?, Robert Laffont éd., 1990 et 1993.
[10] Révélation$ par Denis Robert et Ernest Backes, Les Arènes éd., 2001. M. Backes a été administrateur du Réseau Voltaire.
[11] Who paid the piper par par Frances Stonor Saunders, productriuce de documentaires historiques pour la BBC, Granta Books éd., 1999. Version française : Qui mène la danse ? La Cia et la guerre froide culturelle, Denoël éd., 2003.
[12] « Freedom House : quand la liberté n’est qu’un slogan », Réseau Voltaire, 7 septembre 2004.
[13] Holocaust and Collective Memory par Peter Novick, Bloomsbury Publishing éd., 2001. Version française : L’Holocauste dans la vie américaine, Gallimard éd., 2001.
[14] « L’audiovisuel extérieur français : cahoteux, chaotique et ethniciste » par René Naba, Réseau Voltaire, 6 décembre 2006.
[15] « Evangelized foreign policy ? » par Howard LaFranchi, The Christian Science Monitor, 2 mars 2006. Version française : « Quand les évangéliques dictent la politique étrangère américaine », Le Courrier International, n°803 du 23 mars 2006.
(Réseau Voltaire - René Naba)
Libellés : Média et désinformation
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