Actualité - Les États-Unis attaquent le Venezuela : la « liberté de presse » en tant que prétexte pour une intervention
Après que le gouvernement vénézuélien ait décidé de ne pas renouveler le permis de diffusion de RCTV, une chaîne de télévision vénézuélienne qui était impliquée en avril 2002 dans une tentative avortée de putch contre Chavez inspirée par Washington, Rice a appelé l’OEA à lancer une enquête immédiate sur cette décision et sur l’état de la liberté d’expression au Venezuela.
Rice a déclaré : « La liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de conscience ne sont pas des épines dans le pied du gouvernement. Etre en désaccord avec votre gouvernement n’est pas non patriotique et, très certainement, ne devrait pas être un crime dans aucun pays, particulièrement une démocratie. »
Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Nicolas Maduro, a rejeté l’attaque, accusant Washington de violer la souveraineté de son pays et ridiculisant les efforts de Rice pour faire la leçon au Venezuela sur les droits de l’homme. « L’OEA devrait former une commission spéciale pour se pencher sur la violation quotidienne des droits de l’homme à la frontière sud des Etats-Unis, a-t-il dit. Combien de prisonniers y a-t-il à Guantanamo ? Où les ont-ils kidnappés ? »
Prenant la parole à Prague le mardi suivant, le président Bush a aussi attaqué le Venezuela. « Au Venezuela, des dirigeants élus ont recours à un populisme superficiel pour démanteler des institutions démocratiques et pour resserrer leur emprise sur le pouvoir », a-t-il dit.
Le Sénat américain a aussi critiqué le Venezuela, votant une résolution en défense de RCTV qui fut soutenue par les deux candidats en avance dans la course pour choisir le candidat présidentiel du Parti démocrate, Hillary Clinton et Barack Obama.
Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme se sont aussi jointes au concert des critiques, y compris l’organisation douteuse Reporters sans frontières, dont une part substantielle du financement provient du National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie), une agence fondée par Washington pour la réalisation d’opérations politiques autrefois dévolues à la CIA.
Les inquiétudes de Washington quant à la liberté de presse sont très sélectives. Il vaut la peine de souligner que la campagne de dénonciations sur le sort de RCTV se produit au même moment où le silence règne sur les attaques tous azimuts sur la presse d’un des alliés clés de Washington dans la « guerre au terrorisme ». Le dictateur pakistanais, le général Pevez Musharraf, a promulgué un décret le lundi 4 juin donnant à son gouvernement le pouvoir de fermer tout réseau indépendant de télévision. Le régime a systématiquement bloqué la diffusion de chaînes de télévision qui faisaient des reportages sur la crise constitutionnelle grandissante suivant le limogeage du juge en chef du Pakistan par Musharraf.
L’hypocrisie de l’administration Bush sur la question de la liberté de presse a clairement été montrée dans une conférence de presse du département d’Etat du lundi 4 juin. Le porte-parole du département a dénoncé « les gestes anti-démocratiques du gouvernement du Venezuela », il a réclamé que le RCTV « soit de nouveau en opération » et a fait l’éloge des manifestations organisées en grande partie par les formations anti-gouvernementales de droite qu’il a qualifiées de lutte pour la « démocratie ».
Lorsqu’on lui a demandé quelques minutes plus tard ce qu’il pensait de la répression des médias au Pakistan, le porte-parole est resté très circonspect, se limitant à déclarer que Washington « suivait la situation de proche ». Il a continué ainsi : « C’est une question qui concerne le peuple pakistanais et le gouvernement pakistanais doit le résoudre dans le cadre de sa propre loi. »
Mais c’est précisément le cas au Venezuela. Les problèmes ont été résolus légalement, le gouvernement ayant le pouvoir d’accorder ou de refuser le droit aux sociétés de diffusion privées d’utiliser les ondes publiques, dans la mesure où cela est bénéfique à la population.
RCTV n’a pas été démantelé, ses directeurs n’ont pas été arrêtés ni son équipement confisqué. Son permis est échu et n’a tout simplement pas été renouvelé. Sa fréquence hertzienne a été offerte à une nouvelle station de télévision publique, TVes — Venezuela Social Television.
Il est aussi à noter que moins de deux mois auparavant, le gouvernement d’Alan Garcia au Pérou a retiré d’un coup les droits de diffusion de deux stations de télévision et de trois stations de radio, car ces dernières auraient soutenu une grève. Encore une fois, aucune indignation de Washington.
Le fait que RCTV, davantage reconnu pour ses soap-opéras (telenovelas) et ses jeux télévisés que pour ses commentaires politiques, se voit refuser le renouvellement de son permis n’est certainement pas une attaque sur la liberté de presse. La chaîne est libre de continuer à diffuser sa programmation via le câble ou le satellite, mais ne peut utiliser les ondes publiques. De plus, la compagnie conserve les droits de diffusion pour deux stations de radio.
La véritable question à se poser est pourquoi cette station n’a-t-elle pas été fermée plus tôt et pourquoi sa direction n’a-t-elle pas été arrêtée et poursuivie en justice et pourquoi un traitement similaire n’a-t-il pas été imposé aux autres diffuseurs qui profitent toujours du permis refusé à RCTV.
RCTV fait partie d’un réseau étroitement lié de sociétés médiatiques qui appartiennent à l’oligarchie financière et de propriétaires terriens du Venezuela et qui reflètent ses intérêts.
La principale raison évoquée par le gouvernement dans son refus de renouveler le permis de RCTV sont les agissements de la chaîne durant le coup d’Etat droitier soutenu par l’administration Bush qui avait brièvement destitué Chavez, le président du pays élu par vote populaire, et porté au pouvoir une junte d’officiers militaires et de dirigeants patronaux. Le coup d’Etat fut déclenché le 11 avril 2002, sous le prétexte d’une présumée répression gouvernementale contre des manifestants anti-gouvernementaux, et se termina deux jours plus tard face à une rébellion massive des travailleurs vénézuéliens et des couches opprimées opposées à la junte. Chavez, qui avait été fait prisonnier par les leaders du coup d’Etat, fut relâché et reconduit au palais présidentiel.
Il faut noter que Washington n’essaya même pas de cacher sa satisfaction face au coup d’Etat qu’il avait aidé à préparer, déclarant légitime la junte qui remplaça brièvement Chavez et n’émettant aucune protestation alors que cette dernière abolissait la constitution, démantelait l’Assemblée nationale et forçait la fermeture des médias télé, radio et imprimés que l’on croyait être des partisans du gouvernement Chavez.
Le décret gouvernemental refusant le renouvellement du permis de diffusion de RCTV cita sa « participation active dans le coup d’Etat d’avril 2002 » et ses « appels à des actes de sabotage de l’économie nationale ».
La station joua un rôle direct d’appui lors du renversement illégal d’un gouvernement élu. Il diffusa d’abord délibérément une fausse description des événements qui fut utilisée comme prétexte pour le coup d’Etat, à savoir les affrontements entre une manifestation organisée par l’opposition (défendue activement par RCTV) et les partisans du gouvernement Chavez, le 11 avril 2002. Des coups de feu qui causèrent la mort de 18 personnes et qui en blessèrent 150 autres furent présentés comme l’oeuvre de tireurs pro-Chavez, alors qu’en réalité des tireurs avaient fait feu dans la foule qui défendait le palais présidentiel de la manifestation de l’opposition.
La chaîne rapporta ensuite que Chavez avait démissionné volontairement, alors que les propriétaires de la station savaient bien que le président vénézuélien avait été arrêté illégalement et était détenu à une base militaire. Au cours des événements d’avril, la station se transforma en un centre de propagande pour les planificateurs et les partisans du coup d’Etat.
Ensuite, lorsque des centaines de milliers de travailleurs vénézuéliens manifestèrent pour s’opposer au coup d’Etat et exiger le retour au pouvoir de Chavez, RCTV ne présenta plus aucune nouvelle, diffusant plutôt des dessins animés et de vieux films.
Lorsque l’opposition, encore avec l’appui de Washington, organisa une grève des employeurs et un arrêt de l’industrie pétrolière fin 2002 et début 2003, RCTV prit encore une fois ouvertement la défense de ces actes.
Mais il faut noter que le comportement de RCTV ne diffère pas, ou à peine, de toutes les autres grandes chaînes de télévision privée au Venezuela, incluant Venevision, propriété du magnat cubain-vénézuélien des communications, Gustavo Cisneros, et Globovision, l’affilié vénézuélien de CNN, qui en avril 2002 avait donné les ondes à l’amiral Hector Ramirez, alors chef de la marine vénézuélienne, pour diffuser un appel à tout le personnel militaire à se joindre au coup. Les deux possèdent encore leur permis de diffusion.
Venevision, qui va bénéficier significativement de la perte par RCTV de son permis, a conclu une entente avec le gouvernement Chavez qu’elle allait cesser de faire de l’agitation directe pour son renversement. RCTV avait rejeté toute discussion avec le gouvernement et maintenait son hostilité ouverte. Globovision est également tombé dans la ligne de feu du gouvernement, qui l’accuse de diffuser des messages subliminaux faisant la promotion d’actions anti-gouvernementale et même de l’assassinat du président.
Les sondages ont indiqué qu’une majorité de Vénézuéliens s’oppose à la fermeture de RCTV, et l’opposition de droite a saisi l’occasion pour tenter de ressusciter le mouvement pour le renversement du gouvernement. Depuis que RCTV a été retiré des ondes, il y a eu plusieurs manifestations étudiantes, organisées et dirigées en large mesure par les partis d’opposition. Un certain nombre d’entre eux ont dégénéré en émeutes et bagarres avec la police.
L’opposition est capable de faire de l’agitation sur la question de la « liberté d’expression » en relation avec RCTV, essentiellement parce que le gouvernement Chavez a attendu plus de cinq ans avant d’agir contre la compagnie pour son rôle dans le coup de 2002. Et il n’a encore rien fait pour traduire en justice les responsables de la tentative de renversement. Le refus de traduire en justice les organisateurs du coup en faveur d’une politique de « réconciliation » et de « dialogue » avec la droite est une indication claire de la nature de classe du gouvernement Chavez.
Alors que le programme limité de réformes sociales et de nationalisations de Chavez a reçu un large appui populaire, il dirige un gouvernement nationaliste bourgeois qui, en dernière analyse, repose sur des sections de l’élite dirigeante capitaliste du Venezuela et de l’armée. Malgré ses prétentions socialistes, toutes les institutions essentielles de l’état capitaliste, l’armée, le parlement et la bureaucratie gouvernementale, demeurent intactes, alors que les principaux leviers économiques du pouvoir, particulièrement le capital financier, demeurent entre les mains de l’oligarchie dirigeante traditionnelle du Venezuela.
Les leçons de l’histoire de l’Amérique latine sont claires. Dans la mesure où les masses ouvrières vénézuéliennes placent leur confiance dans ce gouvernement pour contrer une autre tentative de coup, ils font face à d’énormes dangers.
Il faudrait rappeler que la campagne de déstabilisation de la CIA au Chili, culminant en 1973 avec l’un des plus sanglants coups dans l’histoire de la région, avait commencé avec une campagne fabriquée en défense de la « liberté de la presse » autour du quotidien de droite El Mercurio, le porte-étendard d’un réseau de journaux, de stations de radio et d’agences de publicité. La CIA avait dépensé des millions de dollars dans le journal, l’utilisant pour diffuser sa propagande de désinformation antigouvernementale, tout en coordonnant une campagne internationale dénonçant le gouvernement du président Salvador Allende pour sa soi-disant suppression de la « liberté d’expression ». Cette fausse accusation avait été lancée suite à un arrêt de travail et la décision du gouvernement de réduire ses achats de publicité dans le journal.
Le tumulte actuel généré par les États-Unis à propos de RCTV a toutes les caractéristiques d’une campagne de déstabilisation similaire. Il ne devrait y avoir aucun doute que le but ultime de Washington est l’imposition d’un régime fantoche qui garantirait aux conglomérats américains de l’énergie un contrôle illimité des vastes réserves de pétrole et de gaz du Venezuela. A cette fin, ils font encore une fois la promotion d’un coup et préparent ultimement une intervention militaire américaine directe.
La lutte pour contrer de telles menaces est uniquement possible par la mobilisation politique révolutionnaire des masses ouvrières vénézuéliennes indépendamment du gouvernement Chavez.
(World Socialist Web Site, par Bill Van Auken)
Libellés : États-Unis, La lutte des peuples pour restreindre le droit des monopoles, Venezuela
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